Deniro Farrar
the patriarch

S DeterreThe Patriarch n’est pas un grand disque de hip-hop, c’est un grand disque tout court. En s’inscrivant dans la même démarche que Kanye West et Schoolboy Q, Deniro Farrar a choisi la croisée des chemins, l’ouverture aux autres plutôt que l’esbroufe, souvent inhérente au hip-hop (synthés pompiers et rythmes itou). À ceci près que Deniro Farrar va encore plus loin. Ce dernier n’est même plus dans le brouillage des frontières (n’en déplaise au sleeve qu’il a choisi pour The Patriarch) mais au-delà, avec la sérénité propre à qui percute des univers a priori incompatibles mais selon une idée précise qui le place en-dehors d’une mode. Voilà qui donne à l’artiste un temps d’avance vis-à-vis du monde du hip-hop actuel.

« Post coïtum, animal triste » disait le titre d’un film de Brigitte Roüan. Cette formule amusante pourrait synthétiser The Patriarch : après la copulation jouissive des styles (Kanye West introduisait King Crimson et son rock progressif, Schoolboy Q déterrait des stridences de Portishead), le hip-hop de Deniro Farrar va chercher ailleurs ses influences et s’enfonce dans un spleen qui lui va bien. Mélodies profondément mélancoliques, beats mid-tempo, cet américain natif de Caroline du Nord semble atteint par la déprime (*). En samplant de façon inattendue le post-rock de Mogwai (« Thug Till i Die »), la synth-pop symphonique de M83 (« Ryan Hemsworth »), du gospel (« Snitches »), en utilisant à plusieurs reprises une guitare sèche (« Big Tookie » notamment, magnifique), Deniro Farrar se construit une identité à part dans le monde du hip-hop et en devient touchant malgré ses paroles façon gangsta.

Mais au-delà de ce savant mélange sous forme de spleen, l’idée forte qui semble animer The Patriarch, c’est la remise en question. D’un style, d’un homme. À ce titre, le sleeve est admirablement inspiré, joliment implicite. Car enfin, ce pape affublé d’un masque de Dark Vador laisse penser qu’il s’agit avec ce disque d’une sorte d’autoportrait. Le sacré du pape (pour la musique), la mauvaise vie d’un Dark Vador (pour les paroles). Même bien calé au fond de son fauteuil, tel un empereur, Deniro Farrar n’est pas l’être indestructible qu’il laisse deviner de prime abord. Derrière les images imposantes de Dark Vador et du pape, il y a des angoisses existentielles d’hommes qui doutent, de leur foi, du camp dans lequel ils se trouvent.

Ainsi The Patriarch peut être vu comme une métaphore superbe des conflits internes qui vivent en chacun de nous. Mais c’est aussi une réflexion sur la beauté (en l’occurrence ici, celle des samples utilisés) qui peut se cacher au sein du mal (les agissements et pensées de Deniro Farrar) ou de la rusticité (le flow du rappeur, les boîtes à rythme). En d’autres termes c’est du hip-hop, qui, par ses hautes aspirations, pourrait séduire jusqu’à ses détracteurs les plus convaincus. On y croit, et on salue le geste !bub

François Corda

bub

(*) ce qu’il confirme d’ailleurs sur sa page Bandcamp (http://denirofarrar.bandcamp.com/) : « Facing indescribable personal trials and tribulations, coupled with my family crumbling as I watch my lil bro and biggest supporter face a serious trial and jail sentence, I did the thing I was born to do. Write and express my life. »

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Deniro Farrar / the patriarch

Date de sortie : 8 mars 2013

 

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