Lettre ouverte aux Cahiers du cinéma
Elefante Blanco

Chers Stéphane Delorme et Jean-Philippe Tessé,

Je pensais adresser ces mots à Nicolas Azalbert, mais après réflexion il m’a semblé plus pertinent de vous interpeler tous deux directement en votre qualité de rédacteurs en chef des Cahiers du Cinéma. En effet, les remarques particulières que je formule ci-dessous au sujet de la critique d’Elefante Blanco (*) de Pablo Trapero pourraient malheureusement, dans les grandes lignes, concerner d’autres critiques  « courtes » que j’ai pu lire ces derniers temps dans votre magasine (auquel je suis abonné depuis bientôt trois ans). Sans remettre en cause la qualité de votre travail de critiques, il est question pour moi de vous faire part de mon inquiétude de lecteur concernant certains de vos choix éditoriaux.

Il ne s’agit aucunement ici de revenir sur l’appréciation générale du film, mais plus sur le ton adopté et aussi, dans ce cas précis, de contre-vérités affirmées avec beaucoup d’aplomb par Nicolas Azalbert. Pour information, je ne suis pas un grand admirateur de Trapero, loin s’en faut (Carancho m’avait épuisé). Et ce n’est pas cet Elefante Blanco, vu par défaut, qui va me donner envie de le défendre absolument, même si j’ai passé un bon moment.

D’abord, ce que je reproche à Nicolas Azalbert, c’est de prêter tout au long de sa critique des intentions à Pablo Trapero que ce dernier n’a peut-être jamais eues.  « Le succès de Carancho et son impact sur la société argentine […] ont dû monter à la tête de Pablo Trapero », « Trapero cherche à être plus qu’un cinéaste », « Cette volonté de faire œuvre d’utilité publique », « Trapero se rêvant en missionnaire des temps présents »… Ce n’est de toute évidence pas le film qu’on critique ici mais bien un homme. N’est-ce pas regrettable ? Quels indices ou clefs cela apporte-t-il au lecteur pour aborder l’œuvre elle-même ? Pour information, le même Pablo Trapero a contribué à la réalisation d’un autre film argentin que Nicolas Azalbert a plutôt aimé pour le coup : El Estudiante… Comme quoi l’homme mérite sans doute quelque indulgence !

Je parlais plus haut de contre-vérités, ce qui est sans doute tout aussi gênant. Nicolas Azalbert assène qu’Elefante Blanco est « un film d’action » quand le film ne comporte en tout et pour tout qu’une fuite et quelques coups de feu. On est loin d’Expendables ! Plus grave me semble-t-il, Nicolas Azalbert évoque un scénario « invraisemblable » et là on a envie de rétorquer que ces événements de vie dans les villas relatés dans le film, sont pour le moins (et malheureusement) proches de la réalité. Si je me permets cette remarque, c’est parce que mon épouse est sud-américaine et que j’ai un frère vivant à Buenos Aires. Leurs connaissances réelles de ces bidonvilles donnent à mes yeux un crédit aux témoignages qu’ils m’ont confiés et qui corroborent les propositions narratives de Trapero.

Dans un autre ordre d’idées, quand l’auteur de la critique prétend que le film (ou l’homme Trapero ?) « ne remet pas en cause les effets bénéfiques du tournage sur les habitants de la villa », on pourrait lui répondre qu’il s’agit ici d’une question politique (voire d’une mise en abîme) que le réalisateur est libre de poser ou pas sans que cela nuise à son projet artistique. De plus Elefante Blanco est une fiction, et à ce titre on voit mal comment Trapero aurait pu y mettre en évidence les « à-côtés » du tournage…

Bref, que l’on reproche à Elefante Blanco ses quelques dérapages dans le pathos, son manque de singularité dans la mise en scène et sans doute d’autres choses qui font barrière pour que le film soit mémorable, cela me paraît légitime. Mais je perçois dans les lignes de Nicolas Azalbert beaucoup plus de l’agacement (voire de la condescendance) qu’un vrai regard critique sur l’œuvre. Et je déplore que cet état d’esprit se retrouve fréquemment désormais dans vos lignes dernièrement (cf. les critiques d’Amour, de Paradis : Amour, d’Au Bout du Conte pour citer quelques exemples dans les numéros les plus récents). Je pense que l’on peut se montrer incisif, extrêmement exigeant (et c’est ce que j’attends de vous !) sans être pour autant dans l’attaque gratuite. Attaques, qui, quand elles se révèlent extrêmes, jouent finalement beaucoup plus contre le critique qui l’écrit que contre l’œuvre décriée.

Bien à vous, et au plaisir de lire votre réponse.bub

François Corda

bub

(*) la critique en question de Nicolas Azalbert est parue dans le numéro 686 (Février 2013) des Cahiers du Cinéma

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Elefante Blanco de Pablo Trapero (Argentine, France, Espagne ; 1h45)

Date de sortie : 20 février 2013

bub

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