EL ESTUDIANTE
Santiago Mitre

DeterreA priori, tout semble connu dans El Estudiante. Image fade d’un premier long-métrage fauché ; immersion dans un quotidien urbain sans surprise ; volonté de raconter une histoire selon un scénario sage et ficelé – du cinéma qui pourrait être insignifiant. Le film développe pourtant, au fur et à mesure des étapes très scolaires de l’initiation politique de Roque, étudiant venu de province jusqu’à l’université publique de Buenos Aires, une matière cinématographique d’une intrigante clarté. El Estudiante n’est pas insignifiant. Eléments de réponse en quelques points.

1. Contrairement à ce qu’annonce son sous-titre français, El Estudiante n’est pas le récit d’une jeunesse révoltée. Roque n’a pas le sang qui bout. Il ne s’intéresse pas aux discussions politiques qui l’entourent. Il aime boire des bières, arrive en retard en cours, drague les filles. Roque n’est pas un parleur et ne le deviendra pas. La matière du film se tisse là, autour de ce personnage taiseux et d’une ville filmée au plus près. Sa justesse, c’est de ne pas en faire un héros romanesque à la trajectoire lisible, évoluant dans un environnement folklorique. Le réalisateur, Santiago Mitre, aurait été influencé par le Prophète. De la même façon que chez Audiard, la caméra reste collée à son personnage. Esteban Lamothe emmène pourtant son personnage sur un autre type de territoire, où se mêlent son ingénuité, la détermination de son regard et la belle retenue de son corps entier. Etrangeté des corps et des décors qui n’en disent pas trop.

2. Nous sommes à la moitié du film, nous avons accepté les quelques facilités de scénario qui ont amené Roque à tomber amoureux de Paula, une enseignante jeune et très engagée politiquement. Nous l’avons accepté avec d’autant plus de facilité que, jusque-là, la mise en scène n’a rien de grossier, comme si elle nous demandait, avec un peu de timidité, d’accepter d’en passer par là pour poursuivre l’aventure. Nous avons également accepté le procédé de cette voix-off un peu trop sérieuse, qui arrive sans prévenir, et qui a quelque chose d’incongru si on se réfère au calibrage des films aujourd’hui. Tout est là : jamais le film ne veut plaire, autant dans son image que dans le flot de paroles et de références politiques argentines dont les personnages nous abreuvent. Il est mû au contraire par cette énergie de la jeunesse, par l’évolution de Roque, par ses rencontres, par la dynamique de ce chemin. A mi-parcours, la bande-son s’en mêle furieusement. Et l’on passe définitivement d’un quotidien estudiantin qu’on avait accepté, au mystère du parcours politique de Roque, où parole, percussions et chaos ne forment plus qu’un.

3. A deux reprises dans le film, le réalisateur s’attarde sur la consommation de cocaïne par Roque et les étudiants qui l’accompagnent. Il n’y a pourtant aucune dépendance. L’addiction se joue à un autre niveau, celui de l’activité des syndicats étudiants. C’est là que réside le mystère de Roque, pour le spectateur, pour les autres, et pour lui-même. Pour le spectateur : l’initiation politique mêlée au caractère mutique du personnage. Pour les autres : Roque ne ressemble pas à ceux qui savent parler ; pour la première fois, ils remarquent que la politique peut être faite avec des actes, et c’est ce mystère qu’incarne Roque. Pour lui-même enfin : l’engagement de Roque ne semble s’inscrire dans aucune motivation politique traditionnelle, c’est un engagement pur, où le rôle qu’il tient et la manière dont il le tient sont plus importants que les idées politiques dont les autres étudiants se réclament. Roque se drogue au désir amoureux, au corps-à-corps du sexe et à la gestion des hommes. Un autre type d’idées en somme, mais des idées qui sont d’une beauté dont il n’a pas à rougir.bub

Marc Urumi

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El Estudiante de Santiago Mitre (Argentine ; 1h50)

Date de sortie : 23 janvier 2013

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