éternel retour
bilan musique 2012

 FocusLas, les dieux ont quitté les lieux en claquant des doigts. Parfois, comme dans un album de Drudkh, la terre tremble encore, mordant voracement dans ses propres entrailles, comme pour signifier l’impossibilité de la ligne droite, de la civilisation, du progrès. Pourtant, malgré ces tensions telluriques, malgré les saisons, malgré le cycle éternel de la vie, malgré les fleurs qui, chaque fois, refleurissent, malgré les amours rotatifs incessants des planètes, des eaux, de certaines pierres — malgré le ressac —, peu d’humains s’attachent encore à la répétition du même et à ses vertus. Désormais pour la plupart, il faudrait avancer, sans maître, sans dieux, sans personne.

Avancer selon un désir maniaque de connaissance, de course à l’événement, de collection, d’exhaustivité, sans s’attarder ni se replonger. Or, ce qui était merveilleux cette année, c’était la tendance contraire de certains musiciens ayant composé les albums les plus incroyables de l’année à concevoir leur travail dans une sorte de cycle artisanal, comme un retour incessant sur soi. C’est un hasard, mais que ce soient les roues des trains apparaissant dans le rythme et les concerts de I Like Trains sur la voix grave, démodée et anglaise de son chanteur, que ce soient les boucles de TNGHT, le cercle éternel de la vie de Drudkh ou le bourgeon qui éclot, fane, puis meurt de Beach House (Bloom), la figure circulaire prédomine. 2012 ou l’éloge de la répétition du même. Pas un remix, pas un recyclage — une action de recycler —, mais un simple re-cycle — un nouveau passage sur des terres déjà connues, mais finalement pas assez : Max Richter re-compose Les Quatre Saisons de Vivaldi et donne à l’œuvre une dimension dramatique saisissante ; l’album de Beach House re-fait à nouveau ce que les précédents avaient réussi, mais cette fois-ci dans des contrées plus glacées, à un point où texture du chant, puissance des mélodies et embardées mythiques s’allient ; Godspeed You! Black Emperor re-vient pour re-dire la colère qui les habitent, sous une autre forme, ample et cartographique.

Revenir sur soi, retourner à un cycle naturel (les quatre saisons pour Richter, l’hiver pour Gojira, le printemps pour Godspeed, l’automne pour Drudkh), rejouer à l’infini un contenu rythmique entêtant (L’enfant sauvage de Gojira)… Cela pourrait correspondre à l’idée d’éternel retour chez Nietzsche. Mener sa vie de sorte que l’on puisse souhaiter qu’elle se répète éternellement ; tâcher de vivre de telle sorte que l’on puisse souhaiter que chaque instant se reproduise éternellement : « Je reviendrais, avec ce soleil et cette terre, avec cet aigle et ce serpent, — non pour une vie nouvelle, ou une meilleure vie, ou une vie ressemblante ; — à jamais je reviendrais pour cette même et identique vie, dans le plus grand et aussi bien le plus petit, pour à nouveau de toutes choses enseigner le retour éternel ». Revenez, revenez toujours, lave, volcans, guitares, mélodies, voix de femme électrique, boucles, fleurs, hivers, colères, chansons, qui nous ont fait oublier que les dieux avaient quitté les lieux.bub

Marc Urumi

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Top musique 2012

01 – Beach House / bloom
02 – Max Richter / recomposed
03 – Godspeed You! Black Emperor / allelujah! don’t bend! ascend!
04 – Drudkh / eternal turn of the wheel
05 – I Like Trains / the shallows
06 – Gojira / l’enfant sauvage
07 – TNGHT / TNGHT ep

bub

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