AMOUR
Michael Haneke

bubDuelAmour, la Palme d’or du dernier festival de Cannes, est une oeuvre qui divise. La rédaction de BUB n’y échappe pas, l’éventail de réactions chez nous étant très large. Il va du refus éditorial (Raphaëlle Courcelles) à l’enthousiasme cinéphile (François Corda) en passant par un point de vue plus normand (Jacques Danvin). Voici un petit duel entre nos deux extrêmes du moment qui au-delà de la question de l’euthanasie et de l’accompagnement de la fin de vie des proches, s’intéresse au cinéma en tant que tel. Et en particulier à celui d’Haneke.

François Corda : Raphaëlle, pour en avoir discuté avec toi, c’est de la haine que tu as ressenti tout au long du film, et non, comme moi (et beaucoup de spectateurs) de l’amour. Quels sont, selon toi, les procédés de réalisation d’Haneke qui font que telle ou telle situation peut-être interprétée si différemment d’un spectateur à l’autre ?

Raphaëlle Courcelles : Haneke filme les scènes avec une volonté évidente de retranscrire l’action au plus juste : peu de musique, une caméra à hauteur d’homme, une utilisation mesurée de gros plans, des dialogues réduits à leur minimum, etc. Selon moi, ces procédés s’inscrivent dans une volonté d’impartialité vis-à-vis de l’action, en laissant libre cours au spectateur de recevoir le film comme il le sent. D’où cette différence d’interprétation d’une personne à l’autre je pense.

FC : C’est en effet la spécialité d’Haneke : inclure le spectateur dans le processus narratif, lui faire prendre position face à ce qu’il voit (ce qui est généralement peu agréable, de fait). C’était notamment perceptible dans Funny Games et Caché, où nous pouvions être pris à parti par les acteurs, ou placés malgré nous derrière une caméra « indiscrète ». C’est moins évident dans Amour, même si Haneke sait très bien qu’il nous met dans une position inconfortable. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas cette position particulière du spectateur, parfois désagréable, qui a provoqué chez toi cette réaction forte. Tu n’aimais peut-être pas être là où tu étais, et tu en voulais peut-être à Haneke de t’avoir mise là. Je ne dis pas que ça a faussé ton jugement, mais que ça t’a contrainte à voir les choses autrement. Qu’en penses-tu ?

RC : Ce n’est pas tant cette position que tu qualifies d’ « inconfortable » qui me met mal à l’aise. Au contraire, j’apprécie la démarche d’inclure le spectateur dans le processus narratif, d’être acteur et non simple spectateur passif du film. Cette position ne m’incommode pas, je suis preneuse au contraire ! Ce qui m’a profondément déplu c’est l’impudeur d’Haneke face à un sujet aussi délicat. Une impudeur qui s’illustre, non pas dans sa façon de filmer et de retranscrire l’action, qui au contraire souligne une vraie prise de distance, mais une impudeur dans une mise en scène parfois sadique. Je pense particulièrement aux changements de couche, au corps nu d’Anne, à ses répétitions incessantes (« mal, mal, mal »), à la chanson « Sur le pont d’Avignon » qu’elle essaye de chanter pour retrouver la parole, etc. Même si Haneke filme ces scènes avec justesse, la violence n’en reste pas moins gratuite, selon moi.

FC : Je ne vois pas de gratuité dans les choix d’Haneke. Il nous montre des états « limites », et nous les mettre sous les yeux, c’est aller au-delà de la théorie. C’est de la mise en situation et donc un véritable objet de réflexion, où l’on est interrogé sur les limites de l’amour, de l’humanité. Jusqu’où peut-on aller par amour, jusqu’à quel point sommes-nous encore des êtres humains dignes d’être aimés ? Il faut reconnaître qu’à certains égards Amour n’est pas loin du grotesque (notamment les passages où Georges fait chanter Anne, ou quand Eva parle immobilier à sa mère qui ne comprend plus rien). Cela m’a d’ailleurs fait penser qu’Intouchables aurait été beaucoup plus drôle s’il avait regardé la maladie en face, mais passons, ce n’est pas le sujet. En fait, ces scènes limites je les ai trouvées extrêmement percutantes, pas sadiques. Parce qu’elles nous obligent à réfléchir sur notre comportement face à des images qui paraissent terriblement réelles.

RC : Je ne pense pas que filmer des images d’une telle âpreté, aigres, permettent réellement de faire réfléchir sereinement. Pour moi il s’agit d’exhibition, et cette violence psychologique ne peut que produire que l’effet inverse : heurter, irriter et donc provoquer le repli sur soi. La véritable façon d’amener la réflexion sur un sujet aussi délicat que la mort ou la fin de vie, c’est de traiter le sujet avec délicatesse. Finalement, la seule chose que j’accorde au film d’Haneke, c’est qu’en effet, il nous amène à débattre. Non pas sur son thème, mais sur les choix qu’il a fait pour le traiter.bub

François Corda et Raphaëlle Courcelles

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Amour de Michael Haneke (France, Allemagne, Autriche ; 2h07)

Date de sortie : 24 octobre 2012

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