Sur écoute : saison 4
David Simon & Ed Burns

DeterreAlors c’est donc vrai, Sur Écoute (ou The Wire dans sa version originale), cette série qui traite des problèmes souvent liés à la drogue de la ville américaine de Baltimore, est magique. Inutile de s’étendre sur les (petites) réserves que l’on pouvait émettre à l’égard des deux premières saisons, concentrons-nous simplement sur la quatrième, superbe, qui justifie à elle-seule le visionnage des précédentes. Pourquoi ? Parce qu’avec cette saison pénultième, la boucle est bouclée. Les rouages de la ville de Baltimore sont définitivement mis à nus, on comprend pourquoi rien ne changera jamais.

D’aucuns pourraient voir dans la troisième saison (déjà !) une forme d’accomplissement. C’est en effet le terme d’une enquête policière qui avait débuté une trentaine d’épisodes plus tôt. Pourtant, cet accomplissement, on veut croire qu’il trouve sa pleine mesure dans cette quatrième saison. Ce n’est pas tant une question d’ordre scénaristique, puisque le dernier épisode s’achève avec de nombreux points d’interrogation concernant les personnages de la série : il s’agit plus ici d’une récolte que d’une réelle conclusion.

Cette récolte elle est d’abord réflexive, ces treize épisodes, et c’est un coup de génie, jouant en quelque sorte un rôle de prequel de toutes les autres saisons. Un prequel, tout simplement parce que ces épisodes nous exposent, avec le tranchant du réalisme documentaire, la vie de gamins de Baltimore dont les parents sont soit camés, soit dealers, soit inexistants. En observant le quotidien de ces enfants de la rue (Dukie, Namond, Randie et Michael), on comprend mieux qui sont les adultes Stringer Bell, Avon Barksdale, ou le tueur Chris Partlow, d’ou ils viennent et pourquoi ils sont devenus de tels criminels. Les comprendre signifie prendre conscience du chemin qui les a conduits à la place qu’ils tiennent, bien entendu, mais cela signifie aussi, par la force des choses, poser un regard neutre sur leurs agissements. Indéniablement, de voir évoluer ces gosses dans le même milieu difficile que leurs aînés crée un effet de miroir ou de filiation (on peut deviner dans ces adolescents les personnages qu’ils deviendront plus tard), et cela donne aux adultes que l’on connaît un supplément d’âme. Autrement dit, prendre conscience, considérer l’enfance qu’ont eu les monstres « apparents » que sont les bad guys de Sur Ecoute fait d’eux des êtres humains à part entière.

C’est à vrai dire l’une des spécialités de cette série : brouiller les frontières qui séparent le bien du mal. Ici c’est manifeste puisque, déjà, la prétendue innocence des enfants est plutôt mise à mal. Pour autant, il apparaît que les méfaits qu’ils commettent sont implacablement déterminés par leur condition sociale, ce qui, par le fait, relativise les actes, beaucoup plus lourds, de leurs aînés. Si les figures bien connues de la série se révèlent donc pleinement par le parcours chaotique de leurs cadets, une énigme persiste cependant dans cette quatrième saison. Celle de Marlo, génie du mal absolu, qui ne cesse de surprendre par ses stratagèmes diaboliques. Sorte de double inversé d’Omar, le plus attachant (et insaisissable) des bandits de l’Ouest — de Baltimore –, Marlo est absolument fascinant en dépit du fait qu’il soit le personnage le plus « monobloc » de la série. Il est finalement l’un des seuls à ne pas participer à ce vertigineux bal de vases communicants où les uns tournent mal progressivement  tandis que les autres en réchappent laborieusement.

On l’a dit plus haut, la satisfaction intellectuelle qui découle de la compréhension de certains caractères primordiaux de Sur Ecoute est associée à un facteur plus physique, l’émotion. Celle-ci ne provient pas seulement du fait que l’éducation des enfants soit la thématique de cette quatrième saison. Evidemment, dès qu’il s’agit de cette tranche d’âge, on peut se sentir harponné par la sensiblerie. Mais jamais Sur Ecoute ne cède à ce travers. Quand suspense ou émotion il y a, cela découle toujours d’une accumulation d’événements, anecdotiques ou puissants, qui se sont déroulés sur le long terme. Si l’on revient au statut officieux de prequel qu’est cette quatrième saison, on est ému parce qu’on a la sensation aiguë de connaître, d’accompagner les personnages. Dans Sur Ecoute, les actes des protagonistes sont si nombreux et si divers (on les voit dans la sphère professionnelle mais aussi privée) qu’ils construisent de « vrais gens ». Cela se traduit inévitablement par une empathie sincère. De voir ces garçons lutter contre un déterminisme social qui avale lentement et sûrement (presque) tout le monde sur son passage, de les assimiler à leurs doubles adultes, est d’autant plus saisissant.

À la fin de cette quatrième saison on se sent épanouis, satisfaits, malgré les drames qui se sont déroulés sous nos yeux. Parce qu’on a le sentiment d’avoir compris quelque chose d’important, pas seulement sur la ville de Baltimore ou les Etats-Unis, mais sur l’humanité. Cela peut sembler exagéré et pourtant : Sur Ecoute ne regarde pas par le petit bout de la lorgnette, c’est une population entière qui défile sous nos yeux. Flics, politiques, drogués, professeurs, parents, sans-abris ou dealers, tous sont passés au crible, tous sont, à un moment ou à un autre profondément attachants. Et cela, on le doit au courage d’une équipe créatrice qui ne cède jamais au simplisme, au spectaculaire. Et aussi à la chaîne HBO, qui s’est entêtée à diffuser cette série malgré de mauvais résultats d’audience. Sur Ecoute, et en particulier cette quatrième saison, se mérite, demande des efforts. Mais pour quelle félicité au bout du compte !bub

François Corda

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Sur écoute de David Simon et Ed Burns (France ; 1h42)

Date de diffusion : 2006

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