Keep the lights on
Ira Sachs

EnterreNaissance d’une love story dans les années 90 à New York : une histoire d’amour nocive et addictive entre deux mecs qui s’aiment du bout des lèvres. Bill Clegg, écrivain, brûle la vie par les deux bouts, came enfarinée, et Ira Sachs cinéaste, s’enferme dans une dépendance maladive et malsaine à l’homme qu’il aime, à la vie à la mort. Une histoire d’amour douloureuse et poignante à un point tel qu’elle a accouché de deux autofictifs : le récent roman de Bill Clegg, Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme (Éditions Jacqueline Chambon) et son parallaxe, Keep the Lights On, quatrième film dIra Sachs, sorti sur grand écran en août. L’amour et sa souffrance, ses déceptions et espoirs sur fond d’un New york des années 90, décennie du crack et du sida : voici les thèmes qui nourrissent ce film, à vocation exorciste. Son objectif en tout cas. Car si le film est vécu, senti et ressenti par le réalisateur, l’ivresse, les sentiments profonds entre les deux hommes ne transparaissent pas à l’écran et ne laissent au spectateur que l’acidité de la défonce ; sans son tourbillon.

Œil hagard et perçant, bleu vif injecté de sang, Erik compose une énième fois le même numéro de téléphone ; lentement, puis plus vite, machinalement, compulsivement, parfois brutalement ; un numéro qu’il répète dans ses nuits, ses jours et qu’il connaît par cœur à l’endroit comme à l’envers. Inscrits dans ses veines et tatoués dans l’écorce de ses mains, douze chiffres qui le constituent et le retiennent à bout de souffle. Ce numéro, c’est celui de Paul, son mec, avocat et camé dans la vie. Beau blond, belle gueule, Paul a le visage d’un ange déchu à qui la vie a tout apporté puis retiré. Assis sur le canapé, torse nu, il tire une bouffée de dope et inspire profondément la fumée compacte et rebelle. Lentement, il se laisse tomber sur le molletonneux d’une vie meilleure, ferme les yeux et accueille le gris tourbillon au plus profond de lui. Loin de lui-même, Paul s’évade. Deux hommes, deux dépendances, une love story placée sous le signe de l’addiction ; à la drogue pour l’un, à l’amour pour l’autre. Une passion qui a débuté en 1998, lors d’un « plan » sans lendemain. Paul et Erik se rencontrent pour la première fois avec l’enthousiasme et la surprise limités de mecs blasés et habitués. Malgré tout, une attraction irréversible et irrationnelle s’instaure entre eux et marque leur vie à jamais.

Keeps the Lights On dépeint l’histoire d’amour entre ces deux hommes. Ou plutôt la chute inexorable d’un couple qui s’aime, sa lutte pour conserver les sentiments qui s’évaporent, son échec. Ce n’est pas tant unfilm d’amour qu’une œuvre sur la séparation et le conflit. Conflit et souffrance liés à l’absence de l’être aimé et à la dépendance à la drogue, qui plus forte que tout, émiette le couple. Et c’est principalement là le point d’achoppement : le réalisateur traite de la chute vertigineuse d’un couple, sans en aborder les sentiments. Mais pourquoi s’aiment-ils tant ? Quel est cet amour si intense ? C’est la question principale et majeure que se pose le spectateur tout au long du film qui, usé et las, avance de conflits en conflits, cure de désintox’ après cure de désintox’. Par conséquent, le film stagne et manque d’allant. Le spectateur avance à travers le regard d’un seul observateur, Erik, et s’aventure dans un film imparfait, dont le sens lui échappe. Tout comme son acteur, il attend interminablement le retour de Paul et s’impatiente du « démarrage » du film et de l’ivresse promise.

Ira Sachs est très certainement parvenu à exorciser son histoire d’amour en la portant sur grand écran. Un exercice qui reste de la sphère de l’intime et du personnel car peu compréhensible et accessible par des spectateurs qui peinent à avancer dans la lumière promise. Gageons que cette difficulté de transcription des sentiments est principalement due à la démarche d’exorcisme qui a, par principe, de fortes chances d’échouer. En effet, le réalisateur manque d’objectivité et de recul pour exprimer une histoire qu’il porte en lui, une histoire de l’intime et du personnel. En sus de cette démarche d’exorcisme, cause de l’échec du film, la manière de traiter les thèmes de l’histoire peut être également incriminée. Prenons celui de l’addiction à la drogue par exemple. Ira Sachs illustre parfaitement cette dépendance en filmant de façon répétitive et systématique les séances de shoot. En revanche, il survole très largement la désintoxication de Paul en n’évoquant que très légèrement la cure et les étapes pour parvenir à un sevrage (seulement quelques minutes de dialogue y sont réservés). Le déséquilibre est tel que le spectateur a des difficultés à croire à la réussite de la cure et par conséquent à « rentrer dans l’histoire ». De ce fait Ira Sachs semble avoir oublié le point de vue du spectateur, ses mécanismes de réception et de lecture du film, parmi lesquels dans un tel projet une empathie émotionnelle s’avère nécessaire. Unfortunatly, lights keep off.bub

Raphaëlle Courcelles

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Keep the Lights On d’Ira Sachs (Etats-Unis ; 1h42)

Date de sortie : 22 août 2012

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