En secret
Maryam Keshavarz

—-DeterreDeux filles: Atafeh et Shirin. Deux sensibilités, l’une fougueuse, l’autre plus refrénée. Une seule et même rage au ventre : la liberté. Voiles serrés et poings fermés, ces deux filles sont à l’image d’un Téhéran des femmes qui rumine et bouillonne en son sein. Un Téhéran qui acquiesce et se plie aux règles du bal masqué, voile dehors, rouge subversion dedans. Exilée iranienne, Maryam Keshavarz, américaine d’adoption, signe avec En secret son premier long métrage tourné à Beyrouth sous surveillance, à défaut de pouvoir le réaliser à Téhéran sous peine d’emprisonnement. Avec pour trame de fond un amour lesbien, esthétique et sensuel, la réalisatrice s’attaque avec audace et assurance à un sujet brûlant en Iran : la condition des femmes, leurs droits et libertés. Le voile politique et social est levé.

Assises devant le piano, Atafeh et Shirin se meuvent au rythme des touches noires et blanches qu’elles effleurent délicatement. Sous couvert d’une amitié fusionnelle, Shirin englobe Atafeh de son désir protecteur et soutient un regard noir sans fond qui révèle un amour insatiable et innommable ; un amour inconditionnel et passionné, irrationnel et mélancolique ; libre de toutes contraintes et de tout assujettissement. Un amour interdit à Téhéran.

L’espace dans lequel elles se trouvent apparaît en filigrane à la transparence de la pureté de leur relation ; l’environnement externe est invisible face à la splendeur de leur relation. Le cadre ne semble exister que pour mettre en lumière leur complicité éclatante et accompagner la musique de leur existence. Une musique qui chante l’Iran arc-en-ciel (couleurs du drapeau gay) et la liberté des femmes.

Malheureusement, l’oeil des Mollahs n’est jamais bien loin. Mehran, le frère d’Atafeh, ancien toxico, a rejoint la police et se fait voyeur à la solde du pouvoir. Peu à peu, l’harmonie entre les deux femmes s’étiole et l’insouciance des premiers de temps laisse place à la peur. Shirin se marie avec Mehran. Atefeh crie, se bat, violente son amour perdu mais ne la retrouve pas. Amorphe et résignée, Shirin semble comme droguée par l’opium de la peur ; le pouvoir a eu raison d’elle. Révoltée, Atefeh fuit, le coeur lourd.

En secret fait l’effet d’un électrochoc de par la force de son esthétisme qui détonne face à un Téhéran triste et oppressé. Une sensualité rouge vif, gorgée de délicatesse et de féminité, traitée si subtilement qu’elle s’offre au spectateur qui veut bien l’accepter, la voir et l’accueillir. L’esthétisme recouvre en effet le film d’un voile léger : les corps d’Atefeh et Shirin s’effleurent sans jamais se rencontrer pleinement, la tendresse de leur geste quasi monacale est toujours maitrisée, suggérée, la couleur des voiles rouges et bleus des deux amoureuses explose sur un Téhéran gris noir, les regards gonflés expriment sans jamais déverser.

La réalisatrice n’impose pas, elle propose, et fait de cet esthétisme sa véritable arme pour dénoncer la condition des femmes en Iran. Au travers de l’histoire d’amour entre Atefeh et Shirin, une histoire inassouvie, meurtrie en son sein, étouffée alors qu’à peine naissante et réprimée par un pouvoir iranien qui se nourrit d’injustice et de violence, Maryam Keshavarz dépeint le visage voilé d’un Téhéran des femmes : l’assujettissement total et sans limite de la femme par l’homme, son enfermement physique, morale, politique et intellectuel.

La réalisatrice suggère donc une deuxième lecture à qui veut dépasser l’histoire d’amour lesbien. Comme au jeu du bal masqué, il y a le masque et le visage, le dedans et le dehors, le voile et la femme. Dans un pays où la loi du voile règne, le jeu des apparences semble battre la mesure et être à l’image tristement bicolore des touches noires et blanches du clavier. En secret, il n’en est rien.

Raphaëlle Courcelles

bub

———

En secret de Maryam Keshavarz (Etats-Unis, Iran ; 1h45)

Date de sortie : 8 février 2012

bub

g

Showing 5 comments
  • Elise

    Analyse fine et relevée.. Une grande sincérité dans l’ecriture..
    Bravo a l’Auteure

  • Sarah

    Très bien écrit. Une description parfaite d’un Téhéran oppressant et d’une histoire d’amour finalement que prétexte à découvrir la réalité d’un pays où se découvrir reste encore compliqué. Le tout sous la plume sensuelle et intelligente de Mlle Raph. J’ai pris plaisir à lire la chronique, je suis impatiente de voir le film !

  • Raphaëlle

    Merci pour ces commentaires Sarah!
    Tu pourras trouver le film en dvd.

  • De Peyro

    Je m’en veux, j’ai loupé le film et je suis trop désargentée pour acheter du dvd art et essai à la fnac mais cet article délicieux me ramène à mes priorités de cinéphage, je ne passerai pas à côté!

  • PB des PB

    Well-written review, Rafi. I hope the picture is as good as your pen.

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.