DE ROUILLE ET D’OS
Jacques Audiard

—–Enterre« L’enfer est pavé de bonnes intentions » dit un proverbe. Comme semble le dire Jacques Audiard lui aussi, visiblement fasciné par la violence, mais gentil comme tout. Comme ses personnages, jamais bien loin d’être de parfaits voyous, mais au cœur gros comme ça. Un prophète n’était d’ailleurs pas loin d’être infernal dans la manière diablement artificielle qu’il avait de vouloir réconcilier poésie et petites frappes, milieu carcéral et ascenseur social. Bonne nouvelle, De rouille et d’os, sans renouer avec le petit paradis artistique de Sur mes lèvres, rehausse tout de même le niveau, et a un curieux goût de purgatoire, d’entre-deux indécis. De quoi brouiller les pistes.

Si Jacques Audiard ne s’est pas totalement débarrassé de ses afféteries de réalisateur dans le vent, il faut reconnaître qu’il a su retrouver avec De rouille et d’os un certain savoir-faire en matière de personnages hauts en couleurs. L’effacement de Tahar Rahim et l’hystérie de Romain Duris ont cédé la place à une « normalité profil bas » qui fait du bien. Bien sûr le contexte reste bigger than life (c’est LA touche Audiard, il faut du sensationnel), et entre une dresseuse d’orques amputée et un boxer thaï miséreux on est servi question exotisme. Mais la retenue des acteurs sauve réellement le film du sordide, merci à eux, et soyons honnête, merci aussi à Audiard d’avoir sans doute su leur dire les bons mots.

Mais il la fallait, la bonne direction d’acteurs, pour supporter une esthétisation dans la photographie et le montage, au mieux littérale (le héros qui retrouve sa virginité dans la blancheur de l’hiver), gratuite (jeux d’ombres au sol qui n’ont d’autre justification que de faire joli) ou kitsch (ralentis surabondants*), au pire carrément ringarde (les scènes de coucheries dont la fréquente sauvagerie sonne toc, ou les combats, étonnamment pudibonds). Il le fallait aussi, cet état de grâce de Marion Cotillard, pour que l’on croie sérieusement à sa renaissance au contact de cette brute adorable finement interprétée par Matthias Schoenaerts. De toute façon, pas de mystère, un acteur ne peut pas faire de miracle sans une bonne partition, et cela, on le doit clairement aux scénaristes dont Audiard fait partie. Enfin, et quel soulagement, ce dernier a sorti ses héros d’un enfer pour le moins étriqué. Car quand Duris et Rahim ne semblaient pas avoir le droit d’expier leur passif de voyous, que rien dans le scénario ne leur laissait vraiment l’occasion de sortir de leur condition (ni le piano, ni la prise de pouvoir), Ali et Stéphanie, eux, sont des personnages entre deux eaux, entre le bien et le mal, dans une indécision qui fait d’eux des humains qui peuvent grandir ou en tout cas changer. Comme Emmanuelle Devos et Vincent Cassel dans Sur mes lèvres finalement.

On pourrait même aller plus loin en affirmant que si Jacques Audiard ne s’était pas encombré de chichis esthétisants et s’était concentré sur l’histoire d’amour naissante entre Stéphanie et Ali, il l’aurait sans doute magnifiée. On peut en effet déplorer la propension récurrente du réalisateur français à s’emparer de thèmes « forts » en marge de son histoire, thèmes qu’il traite malheureusement souvent par-dessus la jambe. L’accent social et notamment sa vision de la pauvreté sont ainsi par trop caricaturaux : l’accent au couteau de la grande sœur caissière, la peinture à la va-vite du management sont de trop. Quant à la chronique familiale, finalement résumée par la relation conflictuelle entre Ali et son fils, elle est trop secondaire pour émouvoir. De ce point de vue, le départ des chiens comme les retrouvailles finales font figure de « coups » scénaristiques un peu téléphonés. C’est d’autant plus dommage que tous ces à côtés, à la fois trop et pas assez présents, feraient presque oublier les face-à-face superbement candides d’Ali et Stéphanie, qui parviennent, par la spontanéité des situations et des dialogues, à faire éclater la magie d’une rencontre amoureuse sincère. Voilà qui ferait curieusement espérer qu’Audiard nous revienne avec une comédie sentimentale toute simple !

François Corda

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De rouille et d’os de Jacques Audiard (France, Belgique ; 1h55)

Date de sortie : 17 mai 2012

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