VINYAN
Fabrice Du Welz

—–DeterreVinyan n’a pas convaincu grand monde à l’époque de sa sortie. Il faut dire que ce deuxième long métrage de Fabrice du Welz est déstabilisant : film de la frontière, au sens propre comme au figuré, Vinyan joue en permanence sur des lignes de démarcation, qu’elles soient terrestres, artistiques, émotionnelles ou sensorielles. Et c’est justement sa façon de danser d’un pied sur l’autre qui fait de Vinyan un objet étrange assez inconfortable et fascinant.

Les premiers concernés par leur propre frontière, intime, ce sont bien sûr Janet et Paul. Installés en Thaïlande, ils ont perdu il y a quelques mois leur jeune fils dans un tsunami. D’apparence ils vont bien, sont beaux, s’aiment. Sauf qu’ils n’ont évidemment pas tourné la page. Janet en particulier, qui se révèle rapidement telle qu’elle est à l’intérieur : tout à fait borderline depuis la disparition de son enfant (le corps n’a pas été retrouvé). Il suffit alors d’une étincelle, un extrait vidéo en l’occurrence, pour lui redonner l’espoir fou que son fils est vivant et qu’elle parte à sa recherche. Mais il en est de même de tous les personnages de Vinyan : qu’il s’agisse du mystérieux Thaksin Gao, à la fois dévoué et proxénète, ou bien de ces enfants qui rient, rient à s’en rendre terrifiants. Même Paul, a priori bloc de sérénité et de raison, basculera finalement dans la folie… Les protagonistes de Vinyan sont tous partagés entre « normalité » et « anormalité », en équilibre sur cette frontière que l’on sait mince et friable.

De manière plus physique, il est intéressant de noter que Vinyan se déroule d’abord en Thaïlande, puis en Birmanie, où Janet, Paul et Thaksin Gao tentent de retrouver l’enfant en question. Dès lors qu’ils passent cette frontière terrestre, les choses basculent de l’autre côté d’une limite, celle entre réalité et onirisme. Et si dès lors rien ne prouve que ce que vit le trio ne se déroule pas réellement, le changement d’ambiance est suffisamment radical pour que le doute s’installe : au bruit assourdissant et à la surpopulation de la métropole (le réel, donc) succèdent la jungle, son silence et son isolement, propices aux hallucinations en tous genres. À la terre ferme succèdent les virées en bateau, puis la boue. On est totalement bousculé par ces changements de climats, de décors, si bien que l’on se demande si ce que l’on voit n’est pas du domaine du rêve.

Fabrice du Welz s’était déjà révélé en chercheur dans l’absurde et cauchemardesque Calvaire : recherche de plans, de lumières atypiques. Il conforte ce sentiment dans Vinyan en confrontant une nouvelle fois le spectateur à des sensations très fortes. Le réalisateur belge n’a pas son pareil pour nous faire vibrer, vivre les choses de l’intérieur. Qu’il s’agisse de la noyade éprouvante qui introduit le film (autre frontière ressentie, entre mer et terre, vie et mort), de l’errance du couple dans les rues et les boîtes sordides de la ville (nouvelle frontière, entre l’extérieur et l’intérieur), ou de la marche interminable qui mène Paul et Janet à un village paumé dans une forêt inquiétante, on ressent tout ce que vivent les personnages physiquement.

En ce sens, du Welz est lui-même, artistiquement parlant, à la frontière entre cinéma expérimental et cinéma de genre. Il est aussi en équilibre entre ses influences, qu’il ne cache pas (John Carpenter et Gaspard Noë sont de la partie, presque en clins d’œil, dans son générique de début*, la deuxième partie du film peut évoquer de loin Apocalypse Now) et idées de son cru (narration heurtée, mélange des genres entre drame intimiste, chronique de la folie ordinaire et épouvante). Finalement, le Vinyan, être qui erre sans repos entre ciel et terre du fait d’une mort violente, figure très bien tant l’aspect formel que le contenu du film de Fabrice du Welz, soit un voyage perturbé entre cauchemar psychédélique et réalité crue.

*en effet les noms des acteurs affichés en gros caractères à l’écran évoquent les génériques de Gaspard Noë, l’appellation « Fabrice du Welz’s Vinyan » renvoie quant à elle à ceux de John Carpenter.

François Corda

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Vinyan de Fabrice du Welz (France ; 1h40)

Date de sortie : 1er octobre 2008

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