Bovines
Emmanuel Gras

DeterreBovines est un très beau reflet de l’homme. En regardant ce film où les charolaises sont à de rares exceptions près de tous les plans, le spectateur s’y découvre lui-même à chaque image comme une formidable machine cinématographique. C’est-à-dire une machine qui produit du réel à partir du réel. Qui imagine, qui associe. Analyse rapide du tour de force réussi par Emmanuel Gras.

Pour bien saisir ce que Bovines dit de l’homme, il faut d’abord s’attarder sur le fonctionnement général du film. Et en somme, il est assez simple. C’est un va-et-vient continuel entre d’un côté les vaches vues dans une grande proximité, et de l’autre leur environnement présenté avec du recul. Au risque d’être simpliste, disons que deux types de cadrage dominent et sont utilisés par alternance. Les plans larges d’abord, comme ceux de la troublante séquence d’introduction et qui servent à placer les bêtes dans leur contexte de vie animale. Dans les brumes matinales une vache meugle, encore et encore, longuement, se déplaçant et regardant de tous côtés, sans que le spectateur sache d’abord pourquoi. Le montage de plusieurs plans larges construit petit à petit une possible explication à ce que l’oreille humaine traduit comme une souffrance. L’un de ces plans présente plusieurs veaux tétant aux pies de leurs mères. Le spectateur peut alors imaginer que la charolaise qui meugle à n’en plus finir cherche son petit et ne le trouve pas. Un drame peut ainsi être reconstitué à partir d’actions dans lesquelles on cherche à retrouver des émotions, leurs causes, leurs devenirs.

Les très gros plans sont l’autre type de cadrage dont Emmanuel Gras se sert massivement dans Bovines. Ils lui permettent de fractionner les corps des bêtes et de produire ainsi d’étonnants rapprochements formels. Ici une tête broutant, de profil, les oreilles hors cadre : on dirait un félin qui use de sa mâchoire puissante pour arracher ce qu’il compte manger de sa proie. Là, une tête encore, vue de face, le regard rivé à l’œil de la caméra, sans ciller, et ruminant puis s’arrêtant soudain sans qu’on n’entende aucune déglutition : cette fois-ci au contraire on aperçoit le côté mécanique et répétitif du corps de l’animal, mais qui, paradoxe, soudain s’anime alors qu’il s’arrête justement de bouger. Que ce soit ces plans extrêmement proches sur les corps serrés dans une remorque, ou ceux sur les flaques d’eau dans la boue dont la surface se transforme visuellement sous l’action des gouttes de pluie qui tombent de plus en plus fort, un même effet agit. Une pure abstraction formelle, évidente et volatile. Le spectateur associe furtivement une idée de forme à une autre, surpris d’y voir clairement autre chose que ce qu’il est censé y voir.

En faisant alterner ces deux types de cadrage, Emmanuel Gras ménage donc soit des effets de contextualisation dramatique, soit des effets d’abstraction. Ils répondent aux réflexes cognitifs du spectateur capable d’apercevoir ce qui n’est pas dans ce qui est (est-ce l’œil d’un cheval qui me regarde de si près ?), et coupable de vouloir toujours comprendre les tenants et les aboutissants de ce qu’il suit (cette vache qui lèche une autre tout autour de l’oreille est-elle animée oui ou non d’un vague désir homosexuel ?). Si Bovines est effectivement un reflet de l’homme, s’il lui rappelle qu’il est lui-même une machine de cinéma, c’est en lui indiquant à chaque plan qu’il n’a pas son pareil pour imaginer une réalité nouvelle, issue de celle qu’il perçoit.gg

Jacques Danvin

bub

———

Bovines d’Emmanuel Gras (France ; 1h04)

Date de sortie : 29 février 2012

bub

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.