A DANGEROUS METHOD
David Cronenberg

DuelSuite à la critique publiée le 9 janvier dernier par Jacques sur A Dangerous Method (David Cronenberg), François a tenu à réagir pour apporter un contrepoint, et ce sous la forme d’un « duel », à l’instar de celui consacré à Dernière Séance de Laurent Achard. Ci-dessous confrontation de ressentis et d’idées touchant à la grimace, Mad Men, l’empaillement et le vertige.

François Corda : Jacques, tu as trouvé que A Dangerous Method était un film frustrant du fait que son sujet, trop dense, méritait d’être étiré dans le temps sous la forme d’une série, plutôt que d’être contraint par le format trop court d’un film d’1h40. Je ne te rejoins pas du tout, pour moi ce film porte en lui justement tout ce qui peut faire la différence avec la série, à savoir une réelle présence de la mise en scène.

Jacques Danvin : Je t’arrête une seconde si tu veux bien. Est-ce que tu veux dire que dans le format d’une série la mise en scène aurait moins d’importance que dans une œuvre de cinéma de fiction ? Ou que tu me prêtes cette opinion ? J’espère que mon article ne conduit pas le lecteur à le croire, car ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Mon propos, si je le reformule un peu, était de pointer une impossibilité pour ce film de donner au spectateur une sensation directe du vertige propre à son sujet. La forme de la série aurait pu à mon avis le permettre sans forcément congédier un travail de mise en scène spécifique.

FC : Je n’ai jamais vu de mise en scène convaincante dans une série. Ce n’est pas une critique négative, l’intérêt de la série est ailleurs je pense. Dans son caractère addictif, dans l’attachement que l’on peut éprouver envers des personnages que l’on suit pendant des heures et des heures, et qui sont la somme de leurs actions…

JD : Oui et non ! Je suis d’accord avec toi pour dire que l’intérêt de la série, ou, pour être un peu moins catégorique, l’un de ses principaux intérêts est ailleurs que dans la mise en scène. Sauf qu’il existe justement des mise-en-scène de série qui soulignent et enrichissent quelque chose liée aux personnages et aux situations, et qui passe dans la durée. La mise en scène de Mad Men par exemple, elle est convaincante dans sa manière de faire « tableau d’époque ». Elle travaille sur une période de l’histoire des Etats-Unis et de New York en particulier où certains codes de société commencent à être contestés. D’où une rigidité systématique du cadre et des postures des personnages, à l’exception de certaines scènes plus « contestataires ».

FC : OK, mais ce n’est pas simplement une histoire de cadre, il y a aussi le grain de l’image, les décors. Regarde The Wire. La série est irréprochable mais franchement du point de vue de l’image c’est terriblement plat et en termes de cadre c’est très banal, voire transparent. Tu as  pris un exemple particulier : Mad Men a cette réputation d’être très soignée sur le plan de l’esthétique mais la plupart des séries ne se soucient que peu de cet aspect.

JD : Disons alors que la question de la mise en scène d’une série est souvent secondaire. Quoi qu’il en soit, dans A Dangerous Method, où la mise en scène a encore plus d’importance, je ne vois pas en quoi elle souligne la richesse des enjeux micro et macro-historiques, pour en faire ressentir le vertige. Hormis le feuilletage de correspondances accompagnées des voix-off. Mais à part ça…

FC : Ah c’est sûr qu’en regard des autres films de Cronenberg, le vertige ne vient pas  du « visible », il n’y a pas d’effets chocs. Mais justement ce qui m’a plu dans A Dangerous Method c’est que le canadien a su déplacer ses obsessions, le corps et la violence, en hors-champ ou avec une grande économie de moyens. Pas de peau maltraitée, pas de sang. Mais des expressions, voire des conformations de visage qui témoignent d’un combat plutôt intérieur. Honnêtement, Keira Kneightley est vraiment flippante pendant ses crises, tu ne trouves pas ? Freud, on a l’impression qu’il a quelque chose à cacher derrière sa barbe et son cigare. Sidy Sakho de Chronicart dit que Mortensen n’est pas loin de l’empaillement, je trouve le terme excellent. Quant à la femme de Jung, ses inquiétudes sont contenues dans ses corsets et ses coiffures chics. Ce qui est notable aussi, ce sont toutes ces scènes de sexe vues à travers un miroir, une fenêtre. Elles nous mettent de manière ostentatoire en position de voyeur, c’est très bien vu. Bref tout ce qui faisait hier la patte de Cronenberg, son travail sur le visible, passe dans A Dangerous Method par la suggestion. Mais l’inconfort que l’on ressent souvent en tant que spectateur devant ses films est toujours présent je trouve.

JD : Oui, effectivement ce terme d’empaillement est très adapté ! Je comprends là où porte ton regard. Tu constates avec justesse que dans la filmographie de Cronenberg ce film-là propose autre chose. C’est vrai que ce n’est pas anodin. Mais ceci dit je me demande si Spider dans ses choix narratifs et formels n’est pas plus efficace dans ce registre-là pour faire passer des troubles internes. Pour ma part je voulais dans ma critique ne m’en tenir qu’à A Dangerous Method et à ma frustration. Est-ce que le mot de la fin ne serait pas de dire que, selon que l’on cherche dans ce film, à travers le style de Cronenberg, à ressentir les troubles intérieurs des personnages ou le vertige de leurs enjeux socio-historiques, on aimera ou pas A Dangerous Method ?

FC : Euh, non, je ne suis pas d’accord ! D’autant moins que pour ma part Spider m’avait plutôt ennuyé… Sans doute parce que le destin de son protagoniste est plus commun, tandis que celui du trio qui évolue dans A Dangerous Method est, au sens propre, extraordinaire. Pour moi Cronenberg a réussi d’une part à conjuguer sphères intimes et historiques, d’autre part à s’approprier cette problématique pour la présenter sous un angle personnel. Après ce que je peux tout à fait comprendre c’est que ces « tempêtes sous crâne » soient moins excitantes, moins « vertigineuses » pour reprendre ton terme, que celles qui agitent d’habitude les corps des héros du réalisateur.gg

Jacques Danvin et François Corda

bub

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A Dangerous Method de David Cronenberg (Royaume-Uni, Allemagne, Canada, Suisse ; 1h39)

Date de sortie : 21 décembre 2011

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