SHERLOCK HOLMES : JEU D’OMBRES
Guy Ritchie

EnterrePour prendre du plaisir à regarder Sherlock Holmes : Jeu d’ombres, il faut être doté de deux facultés. Sans elles, les aventures qui voient Holmes et Watson déjouer les plans de Moriarty apparaissent vite comme un cauchemar pour l’intelligence. Incompréhension devant ce projet d’adaptation du personnage de Conan Doyle et de son univers. Incompréhension devant l’entreprise d’inversion des règles de points de vue habituelles au genre.

La première des facultés nécessaires à une expérience agréable du film consiste à suivre des séries de déduction sans vouloir en vérifier la pertinence et la richesse. Dans les faits, avec un exemple, ça donne ça : dans une cave parisienne Holmes est posté devant un mur et semble pensif ; au bout d’une demi-seconde il touche une pierre, ce qui a pour effet de provoquer l’ouverture d’une porte dérobée ; à sa mine satisfaite le spectateur comprend qu’il cherchait justement un passage secret et qu’il a réussi ; et à peine le spectateur a-t-il saisi cela qu’une séquence hautement accélérée enchaîne les plans qui illustrent le mécanisme déductif de Holmes, en l’occurrence : le constat d’une éraflure marquée, ensuite le passage d’une corde qui cause l’éraflure, puis l’intérêt d’avoir fait passer là une corde avant de la retirer, à quoi succède et blablabla… et ainsi de suite, sans qu’on puisse tout se remémorer ni être sûr que les étapes du jeu de déduction répondent véritablement à une logique. Elles n’en portent sûrement que le masque, à l’esbroufe.

La deuxième faculté consiste à ne pas espérer retrouver les règles de points de vue que Conan Doyle (et d’autres) ont utilisés dans ce genre d’œuvres littéraires, et qui pourtant ont fait leurs preuves. Conan Doyle adoptait massivement dans ses romans le point de vue de Watson qui, en suivant Sherlock Holmes dans ses actions, découvrait tout ou partie des déductions de son ami détective, mais à son rythme à lui. Le plaisir du lecteur consistait alors à deviner les choses en même temps que Watson, voire avant lui. Dans l’adaptation qu’en fait Guy Ritchie, il y a une audace à ce sujet : le regard classique de Watson ne sert qu’à mettre en scène toute l’étrangeté de celui de Sherlock Holmes. Dans des fulgurances formelles très maniérées, le spectateur est soudain embarqué dans le système cognitif du détective bizarre. Un peu comme en vue subjective, mais sans que ça se traduise par un procédé de caméra subjective. La majorité des accélérés, voire des ralentis haute définition, servent à mettre ainsi le spectateur dans la tête de Sherlock Holmes mais de manière asynchrone, en retard. Ceci un peu pour le meilleur (en de très rares occasions, comme dans le face à face final où Holmes et Moriarty semblent dialoguer par télépathie dans leurs prévisualisations logiques respectives), mais surtout pour le pire (la grande majorité du temps où nous sont proposées ces très pénibles séquences explicatives en mode flash-back).

Au bout du compte sont évacués dans ce film, et l’effet de surprise libérateur propre au trait d’esprit ou au burlesque (les plaisanteries et les gags sont vraiment téléphonés), et la jubilation tout aussi libératrice de pouvoir anticiper un bout de déduction. Dans Sherlock Holmes : Jeu d’ombres l’intelligence du spectateur reste prisonnière d’une idée d’adaptation qui au final vide l’univers de Conan Doyle de tout son intérêt.ub

Jacques Danvin

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Sherlock Holmes : Jeu d’ombre de Guy Ritchie (Etats-Unis ; 2h07)

Date de sortie : 25 janvier 2012

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