OUTRAGES & REDACTED
Brian De Palma

 DeterreEnterreÀ l’occasion de la sortie cette semaine du dernier film de Brian de Palma, Passion, retour sur deux de ses oeuvres qui mettent en scène un groupe de soldats livrés à eux-même. Avec des fortunes différentes…

Anatomie d’un viol en temps de guerre : Outrages (1989) et Redacted (2008) de Brian De Palma peuvent se voir comme un diptyque sur le sujet avec vingt ans d’écart. Quasiment identiques dans leur structure narrative mais radicalement opposés d’un point de vue formel, les deux films proposent deux visions de cinéma, l’une qui se veut immersive, par le trou de la serrure (Redacted), l’autre romanesque, en scope et tutti quanti (Outrages). Avec une réussite inégale qui conforte dans cette idée que De Palma ne réussit jamais mieux que dans la perversion du modèle hollywoodien.

Dans les meilleurs films du réalisateur, et Outrages en fait partie, la mise en scène fluide et stylée agit comme un véritable camouflage. Ainsi les apparences d’Outrages sont celles d’un film à grand spectacle, avec images léchées, acteurs dans le vent, musique orchestrale (ici signée Morricone), mais le cœur du récit est souvent oppressant, violent. Ici, la révolte sourde de Michael J. Fox, contraint d’assister au viol d’une jeune vietnamienne par une bande de têtes brûlées, trouve immédiatement écho chez le spectateur. Pourquoi ? Parce que le cœur du sujet dépasse les enjeux de mise en scène. Le caractère lisse des personnages (Sean Penn, J. Fox, John Legizamo, tous de belles gueules à qui on donnerait le bon Dieu sans confession) est souillé par l’acte profondément mauvais auquel on assiste ; la réalisation ciselée ne tourne pas à la démonstration parce que le cas de conscience cornélien du héros domine le pari esthétique. Finalement, ce conflit qui naît du fossé entre l’enveloppe du film, propre sur elle, et les faits qui s’y déroulent et sont ignobles, provoque un sentiment de malaise indélébile, et qui perdure longtemps après la vision du film. Un sentiment qui vient de l’impression d’avoir partagé quelque chose d’abominablement réel. Avec Outrages, De Palma est parvenu, malgré une mise en scène hollywoodienne assez classique qui d’habitude provoque une distanciation avec les faits, à plonger le spectateur corps et âme dans l’horreur de la guerre. Et c’est proprement traumatisant.

Pour Redacted c’est tout l’inverse. C’est la forme qui prend le pas sur le fond. De Palma, en 2008, est passé du moule hollywoodien au vrai faux documentaire, ici projeté en plein conflit irakien. Il est incroyable de se dire qu’en levant les barrières qui séparent cinéma de fiction et docu (musique omniprésente vs. son intradiégétique, comédiens connus vs. amateurs, caméra subjective vs. caméra extradiégétique), De Palma ne parvient jamais ou presque à nous faire vivre les événements comme réels. En fait on sent le réalisateur coincé dans un modèle de cinéma qui ne lui convient pas. Et pour cause : cinéaste de l’espace (les lieux ont toujours revêtu une importance capitale dans son cinéma), de la démesure (à chaque film sa séquence « tour de force »), et de l’esthétique soignée, De Palma se retrouve ici avec une caméra subjective qui tremble (les passages de Salazar), un grain d’image souvent plat et laid (les fausses interviews, les séquences Youtube) et des situations prévisibles à filmer. On a le sentiment que le réalisateur a voulu laisser parler une forme de réalisme de la caméra amateur, qu’il a souhaité laisser de côté son maniérisme habituel pour nous faire rentrer dans le vif de la guerre. Sans succès, Outrages étant beaucoup plus saisissant malgré sa veine fictionnelle.

La comparaison de ces deux films, qui se regardent dans une sorte de miroir déformant, rend compte d’un constat : De Palma n’est pas parvenu, avec Redacted, à renouveler cette image de réalisateur bicéphale, mi artisan hollywoodien – mi auteur, image qu’il a façonnée toute sa carrière durant, et qu’Outrages illustre à merveille.bub

François Corda

bub

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Outrages de Brian De Palma (Etats-Unis ; 1h53)

Date de sortie : 10 janvier 1990

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Redacted de Brian De Palma (Canada, Etats-Unis ; 1h30)

Date de sortie : 20 février 2008

bub

 

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