Dernière Séance
Laurent Achard

DuelDernière Séance de Laurent Achard est sorti la semaine dernière et il divise la critique. La pauvre rédaction de BUB est, elle aussi, coupée en deux ! Duel François / Jacques, où il est question de symétrie, de fétichisme et d’une petite fille édentée. A lire ci-dessous.

François Corda : Jacques, Dernière Séance t’a laissé perplexe alors qu’il m’a enthousiasmé. S’agit-il d’un film que tu « enterrerais » ?

Jacques Danvin : Oui et non. Je ne l’enterrerais pas en bloc comme j’ai pu le faire pour Un Eté Brûlant ou comme toi pour Intouchables. C’est un film intriguant, c’est sûr. Pas dans sa thématique elle-même, mais dans son traitement. Cette histoire de serial killer dont on découvre la pathologie et l’origine traumatique n’a rien de particulièrement nouveau. Par contre certains choix de mise en scène valent un détour à mon avis. Pour résumer : dans l’ensemble j’ai le sentiment d’avoir vu un film certainement singulier, mais « partiel ». Il délaisse curieusement plein d’aspects psychologiques et narratifs de son histoire au profit d’une approche parfois très formelle. J’imagine que tu dois partager l’idée que c’est un objet singulier ? Est-ce que tu trouves aussi qu’il est « partiel » ?

FC : Film singulier, sans aucun doute, moi je n’ai jamais rien de vu de pareil. Laurent Achard propose une vision du film de genre par le prisme du cinéma d’auteur. Hélène Angel a tenté la même chose cette année avec Propriété Interdite, sans le même succès je trouve, malgré de belles idées. Là c’était un film « partiel ». Dernière Séance est à mon sens un film « total » parce qu’il réussit ce pari audacieux de tenir en haleine le spectateur tout en l’exposant à une rigueur dans les plans que je trouve éblouissante. Par exemple le fétichisme de Sylvain qui se reflète dans la mise en scène d’Achard, je trouve que c’est une idée merveilleuse. L’obsession de Sylvain trouve comme un écho dans l’obsession de la symétrie des plans du réalisateur, ça a quelque chose d’hypnotique (cf. la majorette, le deuxième meurtre).

JD : Ton argument me plaît beaucoup car cela touche à la cohérence des choix de mise en scène d’Achard avec le contenu de l’image et l’histoire qu’il propose. Et en effet, la symétrie des plans, ou encore certains types de cadrages qui sont loin du cliché spectaculaire qu’on trouve généralement dans le thriller gore, montrent bien que quelqu’un fait des choix derrière la caméra, et sans céder à une certaine facilité. Je pense notamment à la scène du taxi, ou un peu plus tard à celle où l’acheteuse du cinéma découvre la pièce secrète de Sylvain. Mais quand même, tu ne trouves pas dommage qu’on sente autant les choix, que ça prenne tant le pas sur le reste ? Car moi je trouve qu’il est difficile de rester tout le temps tenu en haleine tellement cet aspect formel est visible.

FC : Oui c’est extrêmement visible, mais je trouve que ça ne prend jamais le pas sur le reste, car le reste, c’est un scénario audacieux qui questionne la place qu’on laisse aux cinémas de quartier aujourd’hui. Il y a quelque chose de cathartique dans Dernière Séance, une manière de dire que le cinéma est quelque chose qu’on ne peut pas faire disparaître sans que cela provoque beaucoup de violence…

JD : … mais qu’on t’impose aussi par la violence. Ce n’est pas un hasard si le traumatisme de Sylvain est né de la projection que sa mère avait de lui en tant que star de cinéma. Il a dû grandir avec ça. Je ne sais pas si Laurent Achard confirmerait cette idée, mais j’ai l’impression qu’il y a un discours politique dans ce film qui ne met le cinéma en jeu que dans un rapport de violence. Et il y autre chose qui me gêne : l’attirance qu’éprouve Manon pour Sylvain n’est jamais questionnée, alors qu’elle va servir à provoquer une mise en crise narrative de celui-ci. Si c’est un « oubli », il est très gros ! En tout cas cela donne au personnage de Manon un côté fonctionnel qui moi me sort du film. C’est pourquoi je ne trouve pas qu’il soit « total », malheureusement.

FC : Je ne pense pas que ce soit un oubli. C’est sûr, Manon est un personnage fonctionnel, tu as raison, révélateur de la personnalité de Sylvain. En ce qui me concerne, ce n’est pas l’attirance de Manon pour Sylvain qui m’a marqué, mais pourquoi ce dernier la laissait en vie. Ce que je trouve puissant c’est que, à mon sens, Manon incarne le fantasme de l’actrice célèbre (elle est en tête d’affiche de la pièce et en photo sur ladite affiche), fantasme que sa mère a projeté en Sylvain. D’une certaine manière, Manon représente le prolongement de sa folie… Hé tiens ! Puisqu’on parle de personnages fonctionnels : il est terrifiant ce plan avec la petite fille au guichet ! Non ?

JD : Putain ! Cette gamine, elle m’a foutu les foies ! Elle avait quelque chose d’indéfinissable, quelque chose d’adulte dans le visage mais avec un sourire édenté d’enfant de 6 ans. Terrible ! Une preuve de plus que ce film vaut au moins le détour. Voire plus si affinités…gg

François Corda et Jacques Danvin

bub

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Dernière Séance de Laurent Achard (France ; 1h21)

Date de sortie : 7 décembre 2011

bub

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