Mademoiselle
Park Chan-wook

DuelMademoiselle a divisé François et Ivann. Duel critique où il est question de féminisme, de violence psychologique, et de boucle narrative…

François Corda : Tu as classé Mademoiselle dans ton top ciné de l’année 2016, aux côtés de The Strangers. Est-ce que tu es un admirateur du cinéma coréen (ou de ces deux réalisateurs en particulier) ou est-ce un hasard ?

Ivann Davis : Tu as vu juste, je suis en effet amateur de cinéma coréen. Je l’ai découvert avec ses polars et je ne l’ai plus jamais vraiment lâché depuis. Bong Joon-ho, le réalisateur de The Host et Mother est l’un de mes réalisateurs coréens préférés avec Kim Jee-woon, Na Hong-jin et Park Chan-wook. Concernant ce dernier, je n’ai jamais été déçu par son cinéma. Et même si sa trilogie de la vengeance reste pour moi sa plus grande réussite, ses films plus récents comme son expérience américaine Stoker restent de bonnes surprises. On retrouve toujours dans ses films ce goût pour les scénarios alambiqués, les personnages complexes et cette maestria de la mise en scène. Lady Vengeance reste à ce jour son film le plus créatif, la construction narrative et son découpage sont inouïs ! Park Chan-wook, visuellement, c’est toujours un régal.

FC : De ce point de vue on est d’accord. Mais je désespère de retrouver chez lui cette folie et cette imprévisibilité qui faisait la marque de fabrique de Old Boy, sommet qu’à mon avis il n’atteindra plus pour une bonne raison : il est obnubilé par les effets de surprise, comme s’il se fixait un contrat vis-à-vis de ses spectateurs, comme si une petite voix lui imposait : « tu dois les bluffer ! ». A vrai dire je suis fatigué des twists… Surtout quand ils sont construits de façon aussi artificiels que dans Mademoiselle. Une fois que l’on a compris sa structure (la même histoire perçue sous trois angles différents), le film suit son développement narratif sans grande conviction. Pourtant il y avait clairement quelque chose de l’ordre du sociologique à développer dans Mademoiselle, entre une soubrette un peu filoute et sa maîtresse richissime moins ingénue qu’elle en a l’air. Mais non, visiblement ce qui intéresse Park Chan-wook, c’est l’érotisme (aux petits oignons, c’est vrai), la violence (ici riquiqui si l’on s’en réfère à Old Boy) et les sinuosités d’un scénario, que j’ai trouvé, je le répète, très vain.

ID : Dans mon souvenir, Old Boy repose aussi sur un twist final non ? Tellement énorme et tiré par les cheveux qu’il m’avait un peu déçu. Mademoiselle est en effet un conte érotico-sadique, sorte de croisement entre Hitchcock, pour sa trame narrative, Nagisa Oshima pour ses corps érotisés et Sade pour son approche élitiste du sadisme. Mais pas seulement, c’est aussi le portrait de femmes fortes prêtent à lutter pour leur liberté en s’affranchissant des codes moraux de l’époque et de leurs conditions avilissantes liée en partie à cette toute puissance masculine. En cela le film est un véritable pamphlet féministe. Mais c’est surtout une histoire d’amour au final et pour un film lesbien, son approche est très éloignée et beaucoup plus originale que la majorité des films du même genre, notamment en dégageant les clichés généralement affiliés à celui-ci (femmes masculines, homophobie etc.). Je trouve donc ton jugement un peu réducteur.

Park Chan-wook me trimballe au fil des différents récits, et c’est avec une certaine délectation coupable que je me laisse guider. Dispersant ici et là ses indices, il répond à mes interrogations, puis braque à quatre vingt dix degrés, créent la surprise et fait naître en moi d’autres doutes. Je suis porté par cette douce langueur que la beauté des actrices rend enivrante et que seuls le sadisme et les retournements de situations viennent bousculer parfois. Mademoiselle, c’est un véritable conte pour adulte dont on imagine très bien qu’il puisse commencer par « il était une fois ». On se souvient d’ailleurs de cette scène où une jeune femme fait la lecture à un cercle très fermé de gentlemen en mal de sensations. Cela vient souligner l’importance de l’approche « conte » dans le film. Tu n’as pas aimé cette dimension ? Le conte amoral ?

FC : Je ne sais pas si on peut dire qu’il s’agit d’un conte amoral. Au contraire. La morale de Mademoiselle, à mon sens, est plutôt à l’eau de rose : l’Amour vient à bout de toutes les vilénies. Bof… Et puis le coup de l’arroseur arrosé, on a déjà vu, merci. Finalement, les seuls vainqueurs ici sont ceux qui ont été enfermés (les deux femmes donc), au sens littéral et métaphorique du terme. En ce sens on pourrait y voir un film féministe. Sauf que. Toutes ces scènes érotico-chic, je doute qu’elles soient destinées aux femmes. Sauf que, comme par hasard, ces deux femmes sont magnifiques. Donc si on veut étudier Mademoiselle d’un point de vue féministe ces détails ça me dérangent franchement aux entournures. Ceci étant dit je reviens sur le twist de Old Boy. Ce dernier était effectivement too much, tellement imprévisible, à vrai dire, que c’en était jouissif. Ici, on a affaire à une machination, très bien huilée, trop bien huilée. Tu évoques Hitchcock à juste titre. Il y a finalement dans cette histoire une forme de classicisme que l’on pourrait percevoir comme de l’académisme. Et cette nécessité qu’a Park Chan-wook de tout expliquer, de répondre sans arrêt aux questionnements du spectateur, cela te plaît, mais à mon sens cela nuit constamment au mystère. En ce sens le film est à mon avis un échec complet. Car la première partie se dessine comme une machination plutôt banale et donc ennuyeuse, tandis que la seconde s’évertue à gripper la machine coûte que coûte en insistant tant et bien sur des détails de la première. Finalement, c’est bien la troisième partie, la moins sage, qui révèle le talent de Park Chan-wook, jamais aussi à l’aise, à mon avis, que quand il s’agit de péter un plomb.

ID : Je vais être honnête, la machination chez moi a opéré totalement et je n’ai rien vu venir. Je n’y vois rien d’académique. La mise en scène d’un grand raffinement colle à merveille avec cet environnement bourgeois. Les corps sont magnifiés, la nudité et la sexualité sont filmées avec beaucoup d’élégance, l’érotisme, au même titre que le sadisme, tiennent une place importante dans le film mais on ne tombe jamais dans la gratuité, la vulgarité ou un voyeurisme déplacé. Il me semble que nous n’aimons pas Park Chan-wook pour les mêmes raisons, je préfère ses phases plus introspectives où la violence est d’avantage psychologique.

FC : C’est sans doute paradoxal, mais je me suis sans aucun doute senti plus dérangé par Old Boy, son côté outrancier, que par Mademoiselle, qui, est, pourtant, d’une certaine manière, plus « réaliste ». Mais je n’y perçois aucune violence psychologique. En tout cas, ça ne m’a pas du tout traumatisé. Sans doute aussi parce que j’ai eu beaucoup de mal à me ranger du côté des personnages, que je n’ai pas trouvé attachants. Je ne dis pas qu’ils sont stéréotypés, mais dans leurs faits et gestes, au moins jusqu’à ce que la relation entre les deux femmes soit entérinée, ils restent des filous sans grands états d’âme. Dans Old Boy, il y avait ce personnage magnifique, viscéral, qui réclamait son dû : comprendre et se venger. Je partageais son trouble.bub

Ivann Davis et François Corda

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Mademoiselle de Park Chan-wook (Corée du Sud, 1h55)

Date de sortie : 5 octobre 2016

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