Une histoire de dialecte
bilan musique 2016

FocusCette année, il fallait parfois parler sa langue maternelle pour atteindre les sommets. Dans Skuggsjá, Ivar Bjørnson & Einar Elvik nous content l’histoire de leur pays natal, la Norvège. Peu importe la signification des mots, on s’attache à la beauté de leurs sonorités, gutturales et lyriques. La musique suffit à nous transporter dans un autre temps, réminiscence des meilleurs Dead Can Dance, de la géniale épopée paysagiste de Peter Gabriel pour La Dernière Tentation du Christ. A l’époque, des instruments hors d’âge côtoyaient un univers synth-pop, aujourd’hui ils se marient aux guitares aiguisées et épiques tout droit sorties du chaudron black metal dont sont issus les deux hommes derrière ce projet aussi grandiose que délirant.

Le metal toujours à l’honneur avec les Portugais de Sinistro, hydre à deux têtes (le groupe d’un côté, la chanteuse de l’autre), passée en quelques années d’un doom instrumental, aventureux, à une musique cinématique, qui laisse la part belle aux claviers atmosphériques, et désormais portée par la voix de Patricia Andrade, cantatrice possédée qui chante un Portugais venimeux et sensuel. Une vraie révélation dans un monde, celui de la pop au sens le plus large, dont on pourrait se demander s’il ne s’est finalement pas fait étouffer par l’anglais. Un anglais que revendiquent pourtant les français de Gojira depuis leurs débuts. A l’écoute de Sinistro, on pourrait leur en vouloir de ne pas soumettre leurs riffs brûlants à l’épreuve de la langue de Baudelaire. Mais Magma convoite un autre langage, celui de l’universalité. Si ce dernier disque est, au moins, l’un des plus importants de leur discographie, c’est que son évidence est celle des chefs d’œuvre, tous genres confondus. Magma n’est pas un disque de métal, c’est un disque tout court, fabuleusement écrit et réalisé.

Pour écouter du Français, on passera donc cette année par Pascal Bouaziz, déjà au top l’année dernière avec Bruit Noir, encore (presque) seul au sommet en 2016. Rarement les mots de Bouaziz auront été aussi caressants, sans doute parce qu’après être définitivement sorti du cadre avec Bruit Noir et un triple album signé Mendelson, il ressaute à pieds joints dans la chanson. Il y a une nudité dans Haïkus, une forme d’introspection charnelle qui devrait parler à tous. De celle qui irrigue les délicieuses mélodies d’Andy Shauf, sans doute la plus grande révélation folk des cinq dernières années, loin devant les Fleet Foxes. C’est à la fois tellement plus beau et tellement plus simple. The Party est aussi un disque charnel dans la mesure où il revient à ce son rond, boisé des années 70. Il y a de la naïveté chez Andy Shauf, où la tristesse effleure parfois (le sublime « The Magician »), mais où domine la chaleur de chansons sûres de leur force, délivrant leur message pop tout en délicatesse. The Party est douceur. On est sous la couette, en lieu sûr.

Place aux vieux. Jamais on n’aurait pensé que Sophia et Marillion pourraient se retrouver en 2016 dans un top. On a eu beau aimer la volonté du groupe Anglais, à la toute fin des années 90, de sortir pour la deuxième fois de leur carcan néo-prog’ (après l’échec commercial et artistique de Holydays In Heaven en 1991), il n’en reste pas moins que ce genre, épique et moderne, c’est leur langue maternelle à eux. On ne parle pas de Marbles (2004), Happiness Is The Road (2008) ou The Sounds That Can Be Made (2012) tentatives plus ou moins ratées, plus ou moins audacieuses, de renouveler un genre qu’ils avaient eux même créé. F.E.A.R. est définitivement un album d’une autre trempe, qui tire parfois sur la corde, mais éclabousse de son talent la plupart du temps. Cassures, montées en sauce, climax à la durée folle, retours sur pattes, concept tenu d’un bout à l’autre, et surtout, enfin, ce retour à la ligne claire mélodique qui assume sa grandeur. On n’avait pas entendu ça depuis… Brave. Vingt deux ans tout de même.

Retour aux origines aussi pour Sophia, celui du désespoir feutré. L’âme de Robin Propper-Sheppard, exilé depuis 20 ans de sa Californie natale, semblait perdue depuis deux disques en demi-teinte (Technology Won’t Save Us en 2006 et There Are No Goodbyes en 2009) qui lorgnaient parfois vers la pop FM. Sur As We Make Our Way (Unknown Harbours), le quasi symphonique (et dépressif) « It’s easy to be lonely » a des airs de « The river », qui clôturait avec majesté le tant aimé The Infinite Circle en 1998 sur des airs d’adieu définitif. As We Make Our Way (Unknown Harbours) pourrait être le dernier disque de Sophia, ce serait très bien comme ça. Comme si on retrouvait l’être aimé pour ne plus jamais s’inquiéter de son départ.

Nick Cave et David Bowie sont là comme ils sont partout ailleurs, dans tous les tops. Ce n’est pas un hasard, Black Star et Skeleton Tree sont des œuvres aussi novatrices que tripales, d’une élégance immaculée, à la fois premier et dernier acte de carrières longues comme le bras. Underworld est là, légende des années 90 un peu oubliée, sortant de leur chapeau le meilleur album de techno-pop depuis Looping State of Mind de The Field (2011).

2017 mieux que 2016 ? Let’s see.bub

François Corda

bub

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Top musique 2016

01 – Ivar Bjørnson & Einar Selvik /skuggsjá
02 – Nick Cave & the Bad Seeds / skeleton tree
03 – David Bowie / black star
04 – Pascal Bouaziz / haïkus
05 – Marillion / f.e.a.r
06 – Sophia / as we make our way (unknown harbours)
07 – Andy Shauf / the party
08 – Gojira / magma
09 – Sinistro / semente
10 – Underworld / barbara, barbara, we face a shining future

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