Merci Patron !
François Ruffin

EnterreC’est malheureux mais un beau combat n’a jamais fait un bon film. Dénoncer le capitalisme totalement décomplexé – dont Bernard Arnault serait ici la personnification – et les ravages d’un système déshumanisé, ok. Mais François Ruffin, ou plutôt son avatar cinématographique, n’apparaît ici que comme un parent pauvre de Michael Moore, histrion rigolard et provocateur, le spectaculaire en moins. Résultat : Merci Patron ! n’est qu’un indice supplémentaire, après l’échec de La Loi du marché, prouvant l’incapacité du cinéma français à traiter de la lutte des classes.

Ruffin n’obtenant pas l’affrontement tant attendu avec son meilleur ennemi (affrontements dont Michael Moore, non sans filouterie, s’est fait, lui, le spécialiste), l’abominable Bernard Arnault, le spectateur se contente donc de découvrir « l’ami Ruffin », ce dernier se présentant volontiers sous un jour particulièrement affable, père de famille idéal et militant concerné. Merci Patron ! aurait pu être en ce sens un documentaire instructif et léger prônant les vertus de l’action directe. Mais le film est beaucoup trop autocentré pour que l’on y perçoive autre chose qu’un jeu de mystificateur finalement pas si rigolo. D’abord quand Ruffin se pose, ironiquement, en défenseur béat de Bernard Arnault auprès de victimes de licenciements sauvages, puis dans un second temps, lorsqu’il prend, sans vergogne, la place du fils d’une famille pour laquelle il s’est juré qu’il obtiendrait des indemnités, le tout à grand renforts de maquillage, coloration de cheveux, etc. Toute cette mise en scène gratinée pour enfoncer des portes ouvertes sur le capitalisme et ses dommages collatéraux, économiques et sociaux… Merci Ruffin !

Le plus gênant dans Merci Patron !, c’est sans doute cette condescendance sourde, et néanmoins horripilante, dont fait preuve le réalisateur envers la famille qu’il a choisie pour servir son propos et étaler au monde la beauté de sa lutte. On est alors beaucoup plus proche d’un épisode nauséabond de Striptease que d’un documentaire à charge. La rhétorique de Ruffin se résume d’ailleurs dans un seul passage du film, un extrait d’Envoyé Spécial, qui en dit plus qu’1h20 de Ruffin Show : c’est le sourire glacial d’un contremaître hongrois, pur archétype du libéralisme décomplexé. Le reste est à jeter aux oubliettes, pathétique autoportrait d’un Robin des Bois tellement fier d’avoir fait cracher 40 000 € à un multi-milliardaire… Soit, disons-le, un pansement sur une jambe de bois : peu de chances, en effet, que cette goutte d’eau provoque le moindre remous, ni d’un côté (les indignés), ni de l’autre (les marionnettistes). Est-ce que Merci Patron ! réveillera des instincts combattifs ? On peut aussi en douter. L’indemnisation d’une famille ne peut être perçue comme une victoire. D’autant moins que la conclusion de Merci Patron !, c’est que l’ennemi reste invisible, intouchable, et surtout invincible, si l’on s’en réfère à la cohorte de forces de l’ordre qui protège ses moindres apparitions publiques, et à laquelle se heurte Ruffin.

Au même titre que La Loi du marché, Merci Patron ! dresse donc un portrait du capitalisme et de la misère en France à l’aune de la caricature. Le constat reste le même, celui d’une certaine impuissance du cinéma face à un monstre à mille têtes. Un monstre auquel, à défaut de faire barrage, Ruffin a choisi d’asséner quelques bras d’honneur. Si Merci Patron ! est loin d’être aussi impertinent et drôle qu’il se rêve, on peut au moins trouver le geste de Ruffin courageux et nécessaire. Mais on peut aussi considérer que c’est parfaitement vain.

François Cordag

 

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Merci Patron ! de François Ruffin (France ; 1h23)

Date de sortie : 24 février 2016

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