Game of Thrones : saison 6
David Benioff, D.B. Weiss et George R. R. Martin

EnterreLa sixième saison de Game of Thrones trahit la faiblesse d’un modèle économique encore neuf, celui de la série TV haut de gamme, dont les énormes bénéfices, quand ils ne sont pas accompagnés de scénaristes inspirés, semblent devoir se contenter de délivrer de l’entertainment au kilomètre. Ici paralysée par une durée parfois aberrante de développement narratif, et dépassée par des enjeux visuels au-dessus de ses moyens (les dragons, les marcheurs blancs et les combats attenants), cette sixième saison s’effondre doucement sur elle-même en dépit d’un final époustouflant qui masque mal le vide qui l’a précédé.

Jusque-là, la fluidité narrative, les enjeux humains et politiques de Game of Thrones écrasaient tout sur leur passage, éliminant les unes après les autres les pièces maîtresses d’un échiquier savamment et perversement (pour le plus grand plaisir du spectateur) élaboré. Cette maîtrise impressionnante dans le rythme, l’ambivalence des personnages, ce refus de l’héroïsme naïf, tout concordait à nous aider à oublier une laideur parfois toute télévisuelle, concomitante à l’aspect fantasy, forcément dépendant des effets spéciaux. La force de Game of Thrones c’est (c’était ?) cette capacité de redéfinir le statut de héros, de mettre à bas toute forme de manichéisme.

Or, lorsque le spectateur se met à deviner longtemps à l’avance les fameux coups de théâtre bigger than life (expression prise au pied de la lettre avec « l’incroyable » résurrection de Jon Snow que tout le monde avait senti venir), lorsque le gigantesque nain Tyrion, le plus brillant des stratèges, se retrouve cantonné à raconter des blagues ternes à ses suivants pour occuper le temps, lorsque les scénaristes en viennent jusqu’à se sentir obligés de justifier le surnom Hodor, faire sortir Daenerys ou les chevaliers du Val du chapeau, s’autoplagier (Daenerys encore, sortant des flammes, domptant pour la seconde fois des Dothrakis pas fute-fute), on a compris qu’il est temps d’en venir au grand affrontement que tout le monde attend depuis… La fin de la saison cinq.

Le grand guignol bon marché (voir cette horde de zombies pixélisés, franchement ridicule, ces citadelles numérisées, ces attaques de dragons qui font regretter les bons vieux dinos spielbergiens) occupe trop de temps et d’espace désormais. Où sont passés les décors naturels ? Les luttes de pouvoir intestines ? Celle que mène Cersei face au Grand Moineau mène à l’un des plus beaux moments de la saison, mais que ce fût long et pénible pour en arriver là !

Il faut aussi préciser que si les deux derniers épisodes de la saison sont aussi forts, ce n’est pas seulement parce que ce qui les précède est dispensable. C’est aussi dû à la maîtrise d’une mise en scène et d’un montage qui ne se reposent pas sur leurs lauriers, ne se contentent pas de faire le job. A cet égard, il n’est pas si surprenant de retrouver derrière la caméra Miguel Sapochnik, déjà auteur du remuant Repo Men, qui brillait, entre autres, par son sens du rythme. Combats asphyxiants, diversité des plans (aérien, grand angle, serré) pour une meilleure lisibilité de l’action, et un certain sens du crescendo dramatique (la scène d’ouverture époustouflante du dernier épisode), Sapochnik, dans un monde parfait, se verrait prendre les rênes des deux dernières saisons.

Mais globalement, la saison 6 entérine une sorte de connivence avec le spectateur, chaque personnage, ou presque, étant désormais dans une zone de confort, avec risques limités, sans que d’autres figures réellement fascinantes naissent en retour. On ne peut que constater le simplisme de Jon Snow, l’inanité de Bran, celle d’Arya, deux Stark secondaires jusque-là, et qui peinent à exister autrement que par l’importance de leur nom. Qu’ils aient un rôle à jouer dans les joutes futures importe peu, c’est leur parcours en lui-même qui est ennuyeux.

Et le confort des héros entraîne forcément celui du spectateur, autrefois terriblement malmené, ici presque caressé dans le sens du poil. Il n’y a plus de plaisir sado-masochiste dans Game of Thrones. Il n’y a plus de souffrance à voir les personnages que l’on aime mourir (cf. l’épisode Bran), plus de jouissance à contempler les vilains se faire décimer. L’héroïsme n’était nulle part, il est désormais partout. Même du côté de Sandor Clegane, bulldog devenu chien de berger, même du côté de l’ex-diabolique Cersei, soudainement respectable après son humiliation publique, désormais figure noble d’une résistance à une nouvelle forme d’oppression. Et de fait, Game of Thrones gagne en consensualité ce qu’il perd en aspérités narratives et puissance métaphorique du monde contemporain.

 François Cordag

 

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Game of Thrones (saison 6) créée par David Benioff, D.B. Weiss et George R. R. Martin (Etats-Unis ; 2h22)

Date de sortie : 24 avril 2016

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