GREEN ROOM
Jeremy Saulnier

DuelCe fût un petit coup de tonnerre dans le milieu du cinéma d’horreur à sa sortie au printemps. Mais Green Room répond-il vraiment aux attentes de renouvellement du genre, ou est-ce simplement un coup de machette dans l’eau ? Débat entre Ivann et François.

François Corda : Qu’attendais-tu de Jeremy Saulnier après le succès d’estime de Blue Ruin ?

Ivann Davis : Blue Ruin m’avait fait une belle impression, mais je trouvais que le personnage principal avait un peu trop de réussite pour un mec qui a deux mains gauches. Cela étant j’en gardais un bon souvenir et attendais avec une certaine curiosité le nouveau film du réalisateur. Et quand le trailer est sorti, je suis alors devenu très impatient de le voir !

FC : Le point de départ de Green Room est en effet très excitant et à ma connaissance totalement inédit : punks vs. skinheads, il fallait y penser ! Ce que je reproche à Green Room, c’est un scénario inutilement alambiqué, voire cachotier, qui laisse des indices volontairement illisibles pour le spectateur, et des pics de violence finalement moins surprenants et décalés que ceux de Blue Ruin.

ID : Oui le pitch est totalement inédit et rafraichissant ! On a rarement l’occasion aujourd’hui de voir un survival qui sort de l’ordinaire. Au début des années 70, ce genre offrait une grande diversité, des films comme Délivrance, Les Chiens de paille ou Papillon nous prouvaient que différentes approches étaient possibles. Plus tard, le survival s’est figé avec l’arrivée de figures emblématiques telles que Jason Voorheese, Freddy et Michael Myers, qui marqueront le cinéma d’horreur à jamais. S’en suivront de pâles copies inondant le marché jusqu’à nos jours, où de nouveaux réalisateurs enfermés dans les codes qu’avaient posé leurs pères ne semblent voir aucune autre voie possible que la figure du maniaque sanguinaire. En situant son film dans un univers punk, Green Room renouvelle le genre ! Il n’y a en effet aucune sorte de décalage, mais je l’ai trouvé plus abouti, plus sophistiqué que son précédent. Blue Ruin était notamment plus linéaire dans sa narration.

FC : Oui et c’était sans doute la limite de ce premier film. Mais Blue Ruin m’a marqué par quelques visions inattendues et personnages hauts en couleur : la gaucherie de son anti-héros, comme tu dis, le pote obèse fasciné par les armes, des explosions gore à la fois grotesques et terrifiantes et un cadre naturel très bien exploité et qui me tient particulièrement à coeur, le southern gothic. Je trouve qu’entre Blue Ruin et Green Room, Jeremy Saulnier s’est déjà visuellement assagi en terme de cadre et de figuration (la violence y est plus ordinaire), un peu à la façon de Jeff Nichols récemment avec Midnight Special. Et puis il y a cette intrigue un peu forcée, ce mystère monté, au sens propre comme au figuré, de toutes pièces, qui ne prend finalement sens que dans les dernières minutes. Mais là où je te rejoins, c’est que Saulnier a au moins le mérite de tenter quelque chose, formellement (le huis-clos) et scénaristiquement parlant. Je suis beaucoup moins convaincu par l’efficacité de ses procédés…

ID : Tu parles de violence plus ordinaire, mais je ne dirais pas ça… Disons qu’elle colle plus avec son milieu. Quant aux procédés, Jeremy Saulnier les maitrise bien, au contraire. Il agence petit à petit son scénario, entre faux espoirs et vraies déceptions, il fait monter la tension avec une mise en scène électrique (au sens propre comme au figuré), plongeant le spectateur dans une ambiance suffocante ponctuée d’une boucherie visuelle proche du gore. La photographie est très efficace, son côté sombre et verdâtre accentue la saleté des coulisses, la misère du lieu et tout son environnement boueux, transformant rapidement cette salle de concert en fosse commune. Pour revenir à la violence, elle est toujours présente dans son cinéma mais jamais gratuite. Le punk est une musique nerveuse, rageuse. Son côté destroy, qui renvoie d’ordinaire au refus d’un système, est ici synonyme de destruction humaine. Comme le punk, Green Room est un film qui ne fait aucune concession. On assiste à une véritable escalade de la violence, une violence sèche et brutale : pistolets, fusils à pompes, couteaux, machettes, tout est bon pour faire mal. Aucun respect, aucune valeur. Si vous pensiez que la communauté skinhead avait des codes, vous vous trompiez, même chez eux, le système capitaliste (l’argent de la drogue) a bouleversé la donne et c’est chacun pour soi. De ce point de vue le film a aussi une portée politique et dépeint une société en mutation, même si évidemment ce n’est pas en premier lieu le propos du film. Un film violent oui mais surtout intelligent.

FC : Je me demande si je n’aurais pas aimé un film moins intelligent (ce qu’il est, indéniablement, dans ses défis narratifs et visuels), et plus fou. Tout ce que tu dis est vrai. Pourtant j’ai trouvé, et ça va peut-être te choquer, que le film ronronnait. Parce qu’au final, les enjeux humains sont vite limités : chacun pour soi, oui, mais pour survivre, pas de ruse, il faut rentrer dans le tas. Dans Green Room, on meurt très mal mais aussi très (trop ?) rapidement. Ce n’est pas de la perversité de ma part c’est juste que du coup, par cette fulgurance, le survival perd en intensité dramatique. J’ai l’impression que Saulnier aurait gagné à analyser le comportement de ses punks pendant la phase de combat plutôt que pendant le long préambule de son film, presque un documentaire musical, par ailleurs très réussi.

ID : L’identification a bien fonctionné sur moi, j’avais sincèrement mal pour eux. Enfin un film dont le sort de ses protagonistes m’intéresse ! Enfin un survival où ce ne sont pas des ados décérébrés caricaturaux ! En cela je trouve Green Room très actuel, ce sont des jeunes qui galèrent et espèrent un jour pouvoir vivre de leur musique, ils ont un idéal et une intégrité artistique ce qui en tant que musicien m’a particulièrement parlé. As-tu ressenti la même chose, étant toi aussi un musicien ? Ton rapport au film a-t-il été changé ?

FC : Malheureusement non, je ne me suis pas trop retrouvé dans ces jeunes là. J’espérais plutôt qu’en prenant des caractères « extrêmes », des punks et des fachos, il en serait ressorti des personnages plus atypiques, et donc plus attachants. Green Room était pour moi un affrontement déceptif, policé en regard de ce qu’il promettait.

ID : Policé ? Je trouve au contraire que c’est la civilisation dans sa nature la plus primaire, à l’image de ces chiens qu’ils lâchent sur les jeunes, on se demande parfois qui est vraiment l’animal, le chien ou l’homme ? Green Room est pour moi un film qui remplit son contrat et prouve que Jeremy Saulnier est définitivement un réalisateur à suivre.bub

Ivann Davis et François Corda

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Green Room de Jeremy Saulnier (Etats-Unis, 1h36)

Date de sortie : 27 avril 2016

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