Robin Proper-Sheppard aka Sophia
Focus

FocusDans l’immense monde de la pop, il existe des figures secrètes dont l’œuvre imparfaite semble liée à un vécu intime qui attise notre curiosité quant à l’humain qui se cache derrière les chansons. Robin Proper-Sheppard (Sophia, The God Machine) est l’un de ces personnages opaques dont le parcours artistique (succès d’estime, chute brutale, renaissance inattendue…) est à lui seul intriguant et magnifique.

Avant la sortie récente et surprenante de As We Make Our Way (Unknow Harbours), on aurait pur croire que Proper-Sheppard était à son crépuscule artistique : cet américain de San Diego s’était rappelé à nous en 2014, après déjà cinq années de silence, via le morceau « It’s easy to be lonely ». Sorti volontairement (ou ironiquement) de façon isolée, ce concentré de pop symphonique dont le titre semble à lui-seul résumer le mode de vie de son auteur, nous rappelait alors à quel point Proper-Sheppard avait marqué à sa façon, timide et maladive, la deuxième moitié des nineties et l’aube du vingt et unième siècle d’une mélancolie tenace.

The God Machine (superbe patronyme, imaginé bien avant que Billy Corgan des Smashing Pumpkins n’abatte les cartes de son hyper-machin, Machina/The Machines Of God) introduit cet univers désolé que Proper-Sheppard conduit comme l’amiral d’un vaisseau dépeuplé à la dérive. Entre pop et métal, douceur pure des arpèges et groove brutal des riffs, The God Machine est un trio d’abord habité par la guitare et la voix de Proper-Sheppard, à qui l’on attribuerait volontiers la schizophrénie du projet. Derrière, la section rythmique fait le job, savamment discrète lorsque la mer est d’huile, hurlante quand la tempête surgit.

L’énergie qui se dégage de la doublette Scenes from the Second Storey et Last Laugh in a Place Of Dying est puissamment délétère, ce qui explique sans doute que The God Machine soit resté au stade du groupe « culte ». Leur gémellité formelle sans doute due à la petite année d’écriture qui sépare les deux disques est simplement dissociée par des sleeves aux antipodes ; un enfer volcanique pour le premier, un blanc immaculé pour le second qui, finalement, pourraient constituer le recto et le verso d’un seul et même disque (d’un seul et même être ?) partagé entre gros coups de blues et pulsions violentes.

Le décès brutal de Jimmy Fernandez, bassiste du groupe, met un terme à la carrière du groupe. Plutôt que de recruter un autre capitaine, Robin Proper-Sheppard délaisse son navire en s’évadant en solo sur un radeau de fortune appelé Sophia : au départ néo-folk souffreteux, le projet se transformera peu à peu en pop épique et romantique. Ce geste fou et courageux de sabordage d’un groupe qui aurait sans aucun doute fini par trouver une belle audience (il faut préciser que leur musique est très abordable) rend le personnage de Proper-Sheppard touchant parce qu’il traduit le fait que les liens qui l’unissaient au musicien étaient plus forts que le projet dans lequel il avait sans doute mis toute sa passion.

L’ambiance mortifère de Fixed Water, le premier album de Sophia, est celle d’un deuil impossible. « Death comes so slow when you’re waiting » et « I think I’ve lost another friend today » sont autant de paroles qui ne laissent aucun doute : Proper-Sheppard a été durement affecté par la perte de Fernandez. L’anglais n’est pas dans la simulation de l’affect, comme le sont de nombreuses pop-stars. Ce n’est pas un gage de qualité mais la sécheresse et la simplicité mélodique des chansons éloignent immédiatement toute sensiblerie et font corps avec les complaintes de cet homme qui n’hésite pas à livrer ses états d’âme. Proper-Sheppard n’est pas dans le calcul de carrière, il rebondit comme il peut, en faisant ce qu’il sait faire de mieux : écrire des chansons.

Sophia, sur Fixed Water (1996) et encore plus sur The Infinite Circle (1998), plus arrangé, est une plaie ouverte. Après cette doublette que l’on pourrait considérer comme l’envers du décor de The God Machine, Proper-Sheppard attend pas moins de six années avant de revenir sur le devant de la scène. Parce qu’il réintroduit pour la première fois depuis la fin de The God Machine des distorsions et du upbeat, il ne fait aucun doute que le Californien va mieux, que l’énergie (et même parfois la rage) qui semblait l’avoir quitté après le décès de Fernandez a refait surface. Pour le meilleur et le pire.

People are like Seasons (2004) est en effet un beau disque, mais cela reste un disque de transition vers une troisième période, malheureusement complaisante, aux atours d’éternelle synthèse de deux œuvres suspendues face au vide, de l’avortement contraint de The God Machine aux débuts profondément dépressifs de Proper-Sheppard en solo. Mais alors que les paroles de « It’s easy to be lonely » raisonnaient encore durement dans notre tête, l’espoir de réentendre l’artiste en berne, ce dernier revient aujourd’hui avec un disque qui, sans se vouloir synthétique ou séduisant, dont l’écriture regarde enfin de l’avant, retrouvant souvent les flamboyances et la sincérité de Fixed Water et The Infinite Circle. C’était totalement inattendu, et ça n’en est que plus beau.

François Corda

Comments
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    merci , enfin un papier sur god machine, groupe hautement sous estime !!!

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