Le Sanctuaire
Corin Hardy

DuelLa récente sortie du Sanctuaire, aux ambitions plastiques non feintes, est l’occasion pour Ivann et François de confronter leurs idées sur cette curiosité venue d’Irlande, mais aussi sur le cinéma d’horreur en général.

François Corda : En préambule, j’aimerais que tu me dises ce que tu penses du contexte actuel sur le cinéma d’horreur. J’ai l’impression que la production a bien baissé depuis quelques années. En tout cas en France, les sorties se font rares… Et surtout elles ne me convainquent pas du tout.

Ivann Davis : Le principal enjeu pour moi concernant le genre horrifique, c’est le renouvellement. Et hormis quelques pépites ici et là, c’est en effet assez maigre dans l’ensemble. It follows m’avait très agréablement surpris…

FC : Oui, c’est le dernier très bon film d’horreur que j’ai vu, il y a… plus d’un an ! Prenons le cas du Sanctuaire, qui vient de bénéficier d’une sortie en salles. Tout commence très bien : le déplacement de l’horreur d’un milieu souvent urbain à une forêt vierge, l’omniprésence de l’animatronique… Le gros problème, c’est qu’on se demande où est passé le récit.

ID : Le récit est linéaire mais existant et il a le mérite d’aller droit au but. Et puis l’intérêt du film ne repose pas sur la narration mais principalement sur ce retour aux sources de l’horreur des années 80 et de ses effets mécaniques, je pense notamment à un film comme Pumpkinhead (1988) par exemple. Je salue toujours la démarche de ces réalisateurs qui mettent les fonds verts au placard.

FC : Je suis complètement d’accord, c’est d’ailleurs cette démarche qui m’a d’abord séduit. La découverte d’un nouveau type d’alien (les scènes avec la biche et le microscope sont saisissantes) est au départ très prometteuse. Et puis soudain tout – en dehors des effets spéciaux, magnifiques, c’est vrai – devient très balisé : les réactions des personnages, que j’ai par ailleurs trouvés assez superficiels, et puis l’aspect fantastique, qui me laisse une fois de plus de marbre (comme dans les récents Poltergeist et Conjuring : Les dossiers Warren). Comme je regrette l’approche clinique d’un Friedkin dans L’Exorciste ! Je ne demandais qu’à croire en l’existence de ces mauvais génies de la forêt mais ça n’a pas fonctionné chez moi une seconde… Il me manquait ce sens de la narration d’un Eli Roth par exemple, que je trouve très à l’aise dans la progression de la tension. Ce qui manque cruellement ici.

ID : Les deux genres horrifiques que je préfère sont le survival et le slasher, donc un survival irlandais attisait déjà fortement ma curiosité. Avoir ancré son histoire autour des légendes irlandaises, autour de la figure du Banshee (créature surnaturelle de la mythologie celtique) est assez original et contrairement à toi les mutants dégueulasses m’ont convaincu. Le côté horreur/fantastique fonctionne bien, j’aime quand l’imaginaire s’empare du réel et d’autant plus quand il est malveillant.. L’approche du film est assez originale, on peut aussi y voir un engagement, celui de la protection de l’environnement, contre la déforestation. En tout cas ça nous change des histoires d’enfants possédés, de zombies, de maisons hantées ou de slashers complètement rincés que nous sert le cinéma américain à tour de bras ! Non ?

FC : Si complètement. Mais pour moi, dans Le Sanctuaire, le changement n’est malheureusement qu’esquissé. C’est un film qui aurait fait un très bon court ou moyen métrage. Sur 1h30 ça ne tient pas. Alors oui les légendes Irlandaises c’est une bonne idée, mais ça arrive un peu comme un cheveu sur la soupe et puis il faut nous donner les raisons d’y croire ! Je ne peux pas avoir peur si je n’y crois pas. Là on te balance un vieux bouquin pour justifier la présence des affreuses bestioles mais on n’en a pas besoin, au contraire, ça décrédibilise les événements (au départ perçues par un œil scientifique, ce que je trouve plus séduisant) parce que c’est infantilisant. En gros, on nous demande de retrouver notre âme d’enfant qui a peur des contes de Grimm. Mais dans The Descent, les monstres sont là, c’est tout et on y croit (mutations ? évolution d’êtres humains dans un milieu sans lumière ?). Le Projet Blair Witch, j’y crois parce que je ne vois rien, et que tout peut s’expliquer rationnellement. Le diable dans L’Exorciste, j’y crois parce que les personnages théorisent dessus. Mais je suis trop vieux pour qu’on essaye de justifier l’existence d’une sorcière sur une simple croyance ancestrale et un grimoire qui tombe du ciel. Est-ce que tu as eu peur dans Le Sanctuaire, ou est-ce que c’est vraiment la forme du film qui t’a convaincu ?

ID : Concernant le livre, il fait partie du folklore et puis c’est un clin d’oeil à Evil Dead certainement, comme la forêt possédée d’ailleurs. Je comprends ta réaction, le film ne mise pas sur son côté mystérieux, d’ailleurs il te montre assez rapidement les créatures, il joue la carte « conte pour adultes ». Mais pour répondre à ta question précisément, les moments de tension ou les jumpscares ont très bien fonctionné chez moi. Donc oui je reconnais avoir été surpris, voir un peu effrayé parfois !

FC : Pour finir notre entretien, je regrette juste le manque d’épaisseur des protagonistes, et notamment de ce voisin aussi effrayé qu’effrayant, qui avait tout pour être un moteur du récit mais qui ne semble jamais être autre chose qu’un relais entre passé et présent. Sans doute n’ai je pas été sensible à ce clin d’oeil aux années Evil Dead (très visible au niveau des éclairages de nuit, d’ailleurs, tu as raison !) qui, en ce qui me concerne, ne m’ont jamais convaincu. Bref, j’aurais sans doute préféré un peu plus d’engagement et de prises de risque, qu’il s’agisse de la thématique écolo, finalement assez peu visible, ou de la brutalité des événements, relativement soft…

ID : J’ai regretté aussi que le personnage du voisin ne soit pas mieux exploité, il est en effet assez anecdotique. Mais je tiens à souligner la photographie qui est vraiment superbe : les bois sont quasi fantasmés, la lumière semble irréelle, l’atmosphère est poisseuse. C’est un film techniquement accompli. Le « manque d’épaisseur » des personnages ne m’a pas dérangé, l’acteur principal a une vrai gueule, j’ai aimé son côté un peu bougon, pas très friendly. On sent que le réalisateur est un fan du cinéma d’horreur, il y a des hommages au Chien Andalou ou encore à Ne vous retournez pas (1973), avec ce parent qui va chercher son enfant dans le lac ; et très lointainement Long Weekend (1978) avec sa nature revancharde. Au final, malgré la présence de clichés propres au genre, je trouve qu’il réussit à nous embarquer dans une sorte de plaisir coupable. J’ai la sensation d’avoir vu une excellente série B !bub

Ivann Davis et François Corda

bub

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Le Sanctuaire de Corin Hardy (Irlande ; 1h37)

Date de sortie : 30 mars 2016

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