Un portrait de Viggo Mortensen
François Corda

FocusLa figure de Viggo Mortensen a pris une ampleur considérable au cinéma depuis maintenant dix ans. On peut remercier David Cronenberg d’avoir cru en lui après son rôle de gentil Aragorn dans Le Seigneur des anneaux et de l’avoir propulsé en tête d’affiche schizophrène du troublant A History of Violence. Cette année, Jauja et Loin des hommes – deux films dans lesquels l’américano-danois s’approprie les langues et les grands espaces avec une facilité déconcertante – achèvent de faire de Mortensen un modèle d’altérité.

D’éternel beau-gosse a priori cloué à la superproduction (Aragorn, fossette au menton et épée séculaire n’est pas si loin de Luke Skywalker, et Mark Hamill, lui, ne s’en est jamais relevé) Viggo Mortensen est passé aux déserts patagonien et algérien filmés par des auteurs, Lisandro Alonso et David Oelhoffen. Parce que Cronenberg a su casser ce bloc de perfection lisse qu’était son visage avant lui (n’en déplaise à Sean Penn, le rôle de Mortensen dans The Indian Runner laisse un souvenir plus périssable), une carrière incroyablement variée s’est offerte à l’acteur. Dans A History of Violence et dans Les Promesses de l’ombre, Mortensen joue à peu près le même personnage en miroir : un homme aux émotions cadenassées, cachant des ténèbres que lui seul connaît. Dans les deux cas c’est un homme qui n’est pas à sa place, menteur ou taupe.

Les déserts de Jauja et Loin des hommes agissent chez le personnage principal (Viggo Mortensen y interprète dans les deux cas un colon) comme révélateur de ce même constat de disharmonie face à son environnement. Gunner Dinesen dans Jauja, Daru dans Loin des hommes, ces deux hommes sont sans cesse en décalage, de par leur accent frustre, leur apparence (les grosses moustaches et le costume militaire dans Jauja sont perçus comme un véritable folklore) ou leur couleur de peau (Loin des hommes). Leur adaptation présumée dans ce milieu hostile n’est qu’un leurre, la connaissance qu’ils croient avoir du pays dans lequel ils ont été parachutés est une illusion. Ainsi, Gunner le Danois croit suffisamment connaître la Patagonie pour y retrouver sa fille qui a fugué. Mais sans elle, il perd tout repère affectif, et au final, géographique. Daru, parce qu’il est né en Algérie de parents français, se croit suffisamment algérien et bien assez français pour ne pas être touché par la guerre. Mais celle-ci la rattrape et vainc toutes ses convictions, et en particulier celle qu’il est chez lui.

Le visage parcheminé de Viggo Mortensen est devenu avec le temps celui d’un homme voyageur, voire baroudeur, personnification idéale d’un lieu désertique (il faut voir comment, dans La Route et The Two Faces of January, Chester MacFarland et le père se fondent dans les décors et couleurs arides). Ses traits incarnent un entredeux âges qui sied aussi bien à une forme de sagesse qu’à une insouciance encore assumée, ce qui caractérise parfaitement les personnages de Daru et Gunner ou encore Chester MacFarland. Ces hommes d’apparence sûrs d’eux sont tous isolés et se cherchent finalement encore. Comme le père de La Route cherche désespérément un monde meilleur qui n’existe pas.

Dans Jauja, cette quête n’a pas d’issue (c’est aussi le cas de La Route), si ce n’est, dans le film argentin, celle d’une folie admirablement illustrée par le talent de cadreur et de coloriste de Lisandro Alonso : le psychédélisme chaleureux dont use le réalisateur a cette vertu de faire ressentir chaque étape de la longue descente de Gunner dans l’enfer Patagonien. Dans Loin des hommes, Daru connaît le désert par cœur mais le catalyseur du changement se révèle être un Algérien qui cherche le salut chez les colons. Mohamed est le miroir de Daru et ces deux là sortent grandis de leur rencontre forcée. La prestation de Mortensen n’éclipse pas celle de Reda Kateb, impeccable sur le régime de la résignation.

Les incarnations de Viggo Mortensen peuvent être désormais assimilés à de vrais gestes esthétiques de la part réalisateurs qui font appel à lui (Jauja, on l’a dit, mais son second rôle dans A Dangerous Method était aussi idéal en roc paternaliste à barbiche). Dans La Route, sans doute son plus grand rôle, sa tête de hibou décharné était une attraction à elle seule. Et aujourd’hui,Daru et Gunner apparaissent comme les deux facettes qu’incarnaient Viggo Mortensen en un seul rôle dans La Route : un père aimant, sûr de lui, se débattant en vain dans un désert apocalyptique, à la recherche d’un rêve inaccessible. 

François Corda

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