Godspeed You ! Black Emperor : Bataclan, 22.04.2015
François Corda

EnterreDéluge d’images, déluge de décibels, et pourtant cette sensation tenace que l’on n’a rien vu, rien entendu. C’est ce que l’on retient du passage de Godspeed You ! Black Emperor au Bataclan le 22 Avril 2015. On ne se serait pas formalisé si ce mauvais concert n’accompagnait pas l’impression persistante que, depuis son retour en 2012, le groupe canadien a quand même perdu de sa superbe.

D’un orchestre élégiaque, Godspeed You ! Black Emperor serait devenu une machine plombante (les drones interminables de Asunder, Sweet And Other Distress) qui assènerait son espoir en l’avenir comme d’autres broient du noir. Un « hope » stroboscopique sur un écran géant assaille ainsi la foule sur le premier morceau, puis plus tard, un « I love you » surnage d’un gloubiboulga de phrases manuscrites et autres ratures. On a connu plus subtil.

L’esthétique clipesque, MTV like, qui sera reprise pendant une bonne partie du set, a aussi de quoi surprendre venant de la part d’un groupe qui n’a jamais eu besoin d’images pour que l’auditeur s’en invente à l’écoute de compositions au haut potentiel cinématographique. Elle surprend d’autant plus que la médiatisation par les images constitue le stade achevé d’un système de propagande capitaliste que le groupe prend soin de dénoncer par ailleurs. Enfin, quand les projections ne sont pas assommantes, elles reprennent une imagerie façon Terrence Malick discount.

Cette facilité, on la retrouve malheureusement aussi dans la réalisation des nouveaux morceaux, longues pièces statiques exécutées ici par, pardonnez du peu, trois guitares, deux basses, deux batteries et un violon… Pléthore d’instruments dont on cherchera en vain la justification. Ce besoin de remplir l’espace scénique et sonore (aucune dynamique pendant le concert si ce n’est pendant le génial « Moya » qui fit office de rappel unique) semble masquer une certaine incapacité à se renouveler.

Alors, le bruit peut sans doute être une bonne alternative à l’absence, assumée, de mélodies, mais dans ce domaine, le collectif canadien ne semble pas à l’aise. Sur Asunder, Sweet And Other Distress la production cède à la loudness war, et sur scène il est impossible de distinguer qui fait quoi, submergé que l’on est par des boucles sonores enregistrées les unes sur les autres un peu paresseusement. Le meilleur exemple dans ce domaine reste la violoniste, contrainte de combler l’absence d’autre musiciens à cordes, auparavant présents sur scène, en enregistrant des phrases ambient, amassées les unes sur les autres. Tout cela manque d’âme. Précisément ce petit plus qui élevait, jusqu’à présent, la simplicité des chansons de Godspeed You ! Black Emperor au rang de symphonies déchirantes.

Ce 22 Avril 2015, en concert, il y avait derrière des procédés visuels et sonores trop évidents une forme de révolte adolescente mal canalisée, une forme de régression – vouloir en mettre plein la vue et les oreilles à moindres frais – que Godspeed You ! Black Emperor avait jusque là soigneusement évité malgré une image antisystème soigneusement relayée via le net. Ce dernier disque et ce concert sont les marques d’un paradoxe qui consiste, pour le groupe, à relayer une image antisystème tout en tombant dans le panneau idéologique de la reprise des formes qui le nourrissent.

François Corda

bub

 

bub

gg

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.