La philosophie du cinéma d’horreur
Olivia Chevalier-Chandeigne

RevueParu cette année chez Ellipses, La Philosophie du Cinéma d’Horreur d’Olivia Chevalier-Chandeigne est une exaltante réflexion sur ce genre cinématographique souvent raillé. Retour avec l’auteur sur la genèse de son livre.

François Corda : Quand et comment avez-vous découvert le cinéma d’horreur ? Qu’est-ce qui vous a marqué au point de vouloir creuser le genre ?

Olivia Chevalier-Chandeigne : J’ai été fascinée très petite, vers 6-7 ans, par des « scènes » d’horreur (je n’avais ni droit ni accès évidemment à des films d’horreur) dont celle où un sorcier arrache le cœur d’un homme dans Indiana Jones et le Temple maudit (1988). Plus tard, à 14 ans, je tombe à nouveau sous le charme, si l’on peut dire, avec Le Silence des agneaux, dont la scène où Lecter, juste après avoir écouté les Variations Goldberg de Bach, dévore les deux gardiens.

FC : Comment est né votre désir d’écrire un livre sur le cinéma d’horreur alors que le monde de la philosophie, dans lequel vous évoluez, en semble assez éloigné de prime abord ?

OCC : Il se trouve que mes deux genres favoris, la science-fiction et l’horreur, sont au pire assez largement méprisés, au mieux considérés comme un pur divertissement sans profondeur. J’ai donc cherché à savoir pourquoi je me trouvais si à l’aise dans ces genres et j’ai vite trouvé injuste ce mépris. Surtout en ce qui concerne les romans de science-fiction, que peu de gens (en majorité les purs littéraires) estiment. En fait, il m’a paru évident que ce cinéma me faisait tout simplement réfléchir.

J’ai alors profité de l’existence de la collection « Culture Pop » pour tenter de montrer que le cinéma d’horreur constituait un support de réflexion sur des thématiques essentielles, notamment celle du mal.

Bien sûr, bien que le titre laisse supposer le contraire, ce livre ne prétend pas s’inscrire dans une réflexion de théorie esthétique.

FC : En introduction de votre ouvrage vous dites que vous vous concentrerez dans le développement sur « des œuvres cinématographiques, en évitant les productions plus complaisantes ». Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette frontière souvent instable dans le genre ?

OCC : J’ai simplement voulu dire que je ne parlerai pas de films dont la structure narrative et le propos ne me semblaient pas pouvoir donner prise à une réflexion, si ce n’est concernant leur inanité ou simplisme : choquer pour choquer, et non en vue de produire un désir de penser, si implicite et inconscient soit-il.

FC : Pour rester sur ce terrain, j’aimerais évoquer avec vous le cas particulier de Cannibal Holocaust dont la récente réédition (2011) a provoqué quelques remous (cf. la saillie de Vincent Malausa dans les Cahiers du Cinéma qui n’hésite pas à qualifier le film d’ « infâme »). De mon point de vue le film se situe exactement à la frontière entre complaisance et œuvre forte, et c’est ce qui fait, entre autres, sa singularité. Et je ne crois pas qu’un cinéaste aussi talentueux qu’Eli Roth (Hostel) en ait fait un remake pour rien…

OCC : J’ai en effet hâte de voir le remake de Roth. Je suis d’accord avec vous.

FC : Et que pensez-vous de The Human Centipede si vous l’avez vu ? Dans le genre controversé, le film fait fureur !

OCC : Oui, j’ai vu The Human Centipede. C’est vraiment ignoble. C’est intéressant sur l’indifférence du biologique vis-à-vis de l’individu : l’individu est normalement insécable puisqu’il est un tout. Il ne peut donc être une  partie (organique) d’un autre organisme. En revanche, il peut constituer la partie d’une totalité d’une autre nature (culturelle, comme la société, etc.).

FC : J’évoquais précédemment le remake de Cannibal Holocaust réalisé par Eli Roth (Green Inferno, qui n’a pas encore trouvé de distributeur aux dernières nouvelles). Le cinéma d’horreur, depuis une petite dizaine d’années, semble vouloir revenir aux fondamentaux par le biais du remake (La Colline a des yeux d’Alexandre Aja, sorti en 2006, semble avoir été un détonateur). Récemment nous avons eu Evil Dead, Massacre à la tronçonneuse, La Dernière maison sur la gauche... Et les résultats sont contrastés. Déplorez-vous ce manque d’innovation ? Y voyez-vous un signe du temps (un contexte moins favorable à la contestation via ce type de cinéma) ?

OCC : Je ne saurais indiquer la cause de ce phénomène de remake en masse, si ce n’est le phénomène suivant : il faut produire toujours plus, et quand l’inspiration fait défaut, il n’y a qu’à se tourner vers ce qui a déjà été fait, soit pour le repenser (La Colline a des yeux), ou en faire un copié-collé (Evil Dead). Dans le premier cas, on a affaire à une création, dans le second, il s’agit de soutenir la consommation culturelle. Entre ces deux limites, on trouve une série d’intermédiaires.

Mais peut-être cette explication est-elle trop simpliste, bien qu’il ne fasse pas de doute qu’on produit (que l’on doive produire) plus de marchandises en 2015 qu’en 1967 …

FC : Comment expliquez-vous que le cinéma d’horreur soit habituellement plus destiné à un public masculin ?

OCC : Là aussi, la causalité est délicate à établir. Cependant, on peut dégager différents ordres de raisons qui peut-être n’expliquent pas tout, mais au moins participent à rendre compte de ce constat statistique.

A l’échelle collective, on pourrait distinguer un facteur biologique, physiologique plus précisément : la testostérone, liée à la libido, laquelle peut se manifester sous forme de violence (ou d’envie de « contempler » la violence). Bien sûr, la présence de cette hormone doit être associée à autre chose (facteur psychologique, etc.) pour avoir cet effet. Un facteur historico-social : l’homme a toujours fait la guerre ou s’est tenu prêt à la faire. La violence fait donc partie de l’histoire de l’humanité, et les hommes en ont été, et en sont encore aujourd’hui, les premiers acteurs. On peut toujours critiquer le fait que les petits garçons aiment jouer à la guerre, mais ceci est probablement l’héritage inévitable de plus de deux millénaires. Dans nos grottes, tous devaient être contents que le mâle se dresse devant tel prédateur, et l’achève.

A l’échelle individuelle, il y a ensuite d’autres facteurs, principalement psychologiques, mais qui ne sont pas propres aux hommes.

Ceci explique peut-être que le public masculin soit la cible.

FC : Les réalisateurs français ont peu le droit de cité dans vos pages alors qu’il y a toute une scène qui a émergé courant des années 2000. Que pensez-vous par exemple du travail d’Alexandre Aja ou du duo Bustillo/Maury à qui l’on doit notamment A l’intérieur (2007) ?

OCC : Je sais, je sais … J’ai évidemment parlé d’Aja, et j’aurais pu parler d’A l’intérieur en effet. Pour limiter les références, afin que le lecteur non connaisseur ne se perde pas, je me suis concentrée sur les deux nations les plus dynamiques concernant ce genre, les Etats-Unis et l’Espagne.

FC : BUB s’intéresse aussi à la musique et en particulier à tous les mouvements dérivés de la pop. De mon point de vue on pourrait considérer que le métal est à la pop ce que le cinéma d’horreur est au septième art. Trouvez-vous dans ce courant musical, que l’on pourrait aussi résumer par les trois mots de votre première de couverture (effroi, éthique et beauté) un écho à votre réflexion sur le cinéma d’horreur ?

OCC : Ce type de musique est en effet souvent associé aux films d’horreur puisqu’ils partagent des propriétés communes : expression de la violence, parfois « satanisme » (mal), etc. Ce qui crée d’ailleurs un décalage comique dans les films qui utilisent d’autres genres musicaux (country, classique romantique, etc.).

François Corda

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La Philosophie du Cinéma d’Horreur de Olivia Chevalier-Chandeigne (Ellipses ; 192 pages)

Date de sortie : 25 mars 2014

 

bub

 

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