Game of thrones
David Benioff & D. B. Weiss

DuelAlors que la série télévisée Game of Thrones s’apprête à rejoindre les écrits de George RR Martin, retour sur ce qui sépare les deux oeuvres en cours…

François Corda : Avant d’évoquer l’adaptation de Game of Thrones à l’écran, j’aimerais te faire une petite remarque en préambule, à toi qui est grand amateur d’heroic fantasy. Qu’il s’agisse du livre ou de la série, j’ai la sensation que, précisément, les parties qui tiennent du fantastique (les dragons, les marcheurs, la magie noire…) sont de trop. L’histoire de Martin n’aurait-elle pas gagné à se concentrer sur son odyssée moyenâgeuse très réaliste ?

Jean-Baptiste Durand : Ca a déjà été fait mon cher et ça s’appelle Les Rois Maudits ! Plus sérieusement GRR Martin n’a jamais caché son amour de la saga de Maurice Druon (saga qu’il recommande à ses fans américains et qui s’est donc transformée en best seller à l’exportation !) et je crois que précisément son postulat de départ était de faire quelque chose dans le même esprit… Mais en y rajoutant du fantastique. Par ailleurs son traitement du genre était, à l’époque, assez révolutionnaire. Maintenant que Game of Thrones est devenu une œuvre populaire les gens ont oublié à quel point c’était une proposition en rupture avec l’imagerie traditionnelle du médiéval fantastique, celle héritée de Tolkien. Ceci dit, je te rejoins complètement sur le fait que les points forts du récit de Martin ne sont pas vraiment liés à l’aspect fantastique de son univers. De là à dire que Game of Thrones gagnerait à n’être « que » médiéval, il y a tout de même un pas que je ne franchirais pas.

FC : Pourquoi ? Le problème, de mon point de vue, c’est que le fantastique dans Game of Thrones (le livre comme la série d’ailleurs) m’apparaît plus comme un folklore un peu kitsch qu’un vrai moteur narratif ou d’imaginaire.

JBD : Il ne faut pas perdre de vue qu’il y a une temporalité dans le fantastique du Game of Thrones… De fait le merveilleux, qui était perdu, « renaît » sur Westeros et agit comme un gigantesque compte a rebours, un avertissement que les familles nobles, trop occupées à se massacrer les unes les autres, n’entendent pas. Cet aspect donne à mon sens une dimension dramatique supplémentaire à la guerre de succession : l’aveuglement d’une bonne part des protagonistes face à cette apocalypse imminente les rends presque dérisoires, pathétiques. Ils se déchirent pour gouverner des ruines.

FC : Ceci étant posé, je te crois de manière générale assez hostile à la série télévisée créée par HBO. Pourtant, en termes de rythme je la trouve beaucoup plus performante que le livre. A mon sens, ce dernier rame sur certains personnages, notamment ceux d’Arya et Bran, qui semblent comme en périphérie des évènements. On a la sensation que Martin ne sait pas trop quoi en faire. Dans la série, les séquences des enfants ont un rôle d’apaisement, chose que je ne retrouve pas du tout dans le bouquin…

JBD : Ce que je reproche à la série c’est d’abord son manque effarant de subtilité. Tout ce qui était posé habilement, délicatement, dans les romans est ici transposé à la truelle pour être certain que le public ne passe pas à coté. De même les rapports établis entre certains protagonistes ont été légèrement modifiés pour le petit écran sans aucune raison scénaristique valable, juste pour mieux répartir le temps de présence des acteurs à l’écran. Que les scénaristes tranchent dans le vif de certains passages ennuyeux des romans je ne peux que m’en féliciter mais quand ils caricaturent l’esprit de l’œuvre originale pour « souligner le message », le résultat final est tout de même décevant.

FC : A la truelle il ne faut tout de même pas exagérer ! Les personnages restent très vivants, très humains, et absolument pas monolithiques (voir l’évolution de Jaime, celle du Limier, de Theon, je pourrais en citer beaucoup d’autres). On pourrait trouver à redire sur Cersei, un peu caricaturale, mais passons. La subtilité que tu évoques, à mon sens elle passe surtout dans le livre par des tours et des détours qui m’ont semblé un peu roboratifs !

JBD : A la truelle je maintiens ! Un simple exemple pour preuve : il m’a fallu lire deux fois les premiers romans pour comprendre que Loras et Renly était amants, l’auteur ayant pris le soin d’évoquer ce fait de façon très subtile. A l’écran cela se traduit par une scène de fellation quasiment des leur première scène en commun !

FC : Rien à voir mais je voulais aussi évoquer avec toi les décors de la série. A mon sens dès lors que les personnages évoluent dans des paysages naturels c’est grandiose, plus beau que tout ce que l’on peut imaginer en lisant (c’est la force de l’image). En revanche, dès lors que la série essaye de figurer le fantastique (les dragons, le feu grégeois, le mur…) j’ai beaucoup plus de mal. Est-ce que les cadres choisis te semblent en adéquation avec le livre de Martin ou trahissent-ils aussi son imaginaire ?

JBD : Pour ce qui est des décors je n’ai rien à redire et je te rejoins complètement sur le surnaturel : j’ai personnellement un gros souci avec les dire wolves des Starks qui, dans les romans, sont des bêtes énormes indissociables de leurs jeunes maîtres et sont mis à l’écran à l’aide de chiens-loups que l’on entraperçoit un épisode sur deux. Ceci dit, je pense qu’il était difficile de faire autrement : des loups géants en image de synthèse présents sur la majorité des plans auraient ravagé le budget de la série. Mais ça fait partie des choses qui rendent la fiction télé fade par rapport aux romans d’origine.

FC : Sans doute… En tout cas, c’est vrai qu’il y a une frontalité dans la série qu’on ne retrouve pas dans le livre. Cela peut-être pour le meilleur : la représentation de la violence et du sexe à l’écran est souvent puissante, rarement complaisante… Ou pour le pire : vouloir TOUT représenter quand des hors-champs seraient sans doute salutaires. Nous verrons bien ce que nous réserve la prochaine saison. Je crois savoir que le cinquième tome n’est d’ailleurs pas du goût de tous les amateurs du livre, je me trompe ?

JBD : Disons que l’auteur se fait un petit peu trop plaisir sur la présentation de son univers et qu’on commence à s’ennuyer ferme… S’ajoute à ça que la perspective de ne pas avoir le fin mot de l’histoire avant plusieurs années est assez peu motivant. La série risque de dépasser rapidement les romans du point de vue narratif et de clore la saga bien avant la sortie d’un éventuel dernier tome ! Tant pis pour les fans de la première heure et tant mieux pour les fidèles de HBO !bub

François Corda et Jean-Baptiste Durand

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Le Trône de fer de David Benioff et D. B. Weiss (Etats-Unis ; format 52 min)

Dates de diffusion : 2011-2012-2013-2014

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