La légende de Beowulf
Robert Zemeckis

DuelLa Légende de Beowulf fait partie de ces rares films tournés intégralement en motion capture. Rien que pour cela il a marqué l’histoire du cinéma. Ce point mis à part,  les avis sont partagés. Jean-Baptiste et François reviennent précisément sur ce qui a divisé la critique au moment de la sortie de ce film atypique.

François Corda : Jean-Baptiste, La Légende de Beowulf est marqué par la présence du procédé de motion capture. Est-ce que tu peux nous dire ce que cela t’a inspiré dans ce film de Robert Zemeckis ?

Jean-Baptiste Durand : Absolument rien. On a tendance à parler en priorité de cette technique quand on discute du film alors que, de mon point de vue, c’est un aspect tout à fait mineur, presque un non-événement. Les qualités de ce Beowulf sont ailleurs : dans ses choix thématiques et la construction/reconstruction de son scénario. Le film aurait été réalisé « en live » ou en dessin animé que ça serait du pareil au même pour moi. La motion capture fonctionne mais n’est ni un réel atout, ni un handicap. Il me semble que ton point de vue sur le sujet est radicalement opposé…

FC : Ca me paraît en tout cas délicat de balayer d’un revers de main un parti pris esthétique aussi engagé. On pourrait penser que, parce qu’il s’agit d’heroic fantasy, l’irréalité des images fait écho à celle de l’histoire, peuplée de monstres et de dragons. Mais le problème c’est que la motion capture met sur un même pied d’égalité créatures imaginaires et hommes : ces derniers ce ne sont plus des êtres de chair, mais des images désincarnées. Si bien que leurs prouesses sont toutes relatives. Quand je pense à Conan tel qu’il a été incarné par Schwarzenegger (pour rester dans le même genre cinématographique), ce qui fonctionnait c’est qu’on opposait une force de la nature, qui saignait, souffrait, face à des forces du Mal qui semblaient invincibles. Dans Beowulf, nul suspense, le duel entre humains et monstres n’apparaît jamais comme déséquilibré.

JBD : Sur ce point précis on est dans le ressenti viscéral, j’ai n’ai pas grand-chose à te rétorquer. Mais à la limite je pourrais te dire qu’effectivement, vu la structure du scénario, le « suspense de la lutte contre les forces du mal » n’a pas de raison d’être. La force de Beowulf, tout comme celle du Conan de Milius, est précisément de casser le récit archétypal de l’héroic fantasy. Ainsi la question n’est jamais de savoir si Beowulf va triompher de la mère de la Grendel, mais de savoir s’il sera capable de briser le pacte traditionnel (le don d’un enfant contre la souveraineté de la terre) pour, l’âge venu, être à la hauteur de la légende qu’il s’est construite par le mensonge. En ce sens je pourrais être d’accord avec toi : on se moque de savoir si ses prouesses physiques lui permettent de triompher du Troll ou du Dragon.

FC : Ca me semble problématique parce qu’on comprend, par la débauche d’effets spéciaux et la virtuosité de la mise en scène (je ne remets pas du tout en question le talent de Zemeckis, c’est un réalisateur souvent inspiré), que les deux grandes scènes de bataille (Troll et Dragon) sont les points d’orgue du film. L’entredeux, tout ce qui touche au récit (la tradition comme tu dis, mais aussi les repas, les rapports amoureux) est franchement bâclé. L’aspect psychologique des personnages est, à mon sens, fortement négligé, et, plus grave, c’est Beowulf, le personnage phare, qui en fait principalement les frais. Il n’a pas d’existence propre (d’où vient-il, qu’a-t-il vécu ?), et tout est trop facile pour lui ! Dans l’ultime scène du film, la simple hésitation de son fidèle acolyte, Wiglaf, dévoile un personnage avec autrement plus de caractère (il est d’ailleurs présenté comme un couard plus tôt dans le film). Mais qu’entends-tu au juste par « casser le récit archétypal de l’héroic fantasy » ? Parce que j’ai l’impression que c’est cela qui rend le film, à tes yeux, aussi précieux…

JBD : Comme l’illustre joliment le petit court métrage « le voyage du héros » de M. Winkler les récits d’heroic fantasy sont tous construits sur un schéma identique, schéma qui est habilement esquivé par le premier Conan et par ce Beowulf, leur donnant une force dramatique supplémentaire. De plus j’apprécie énormément le travail fait par les deux scénaristes de La Légende de Beowulf pour transformer, moderniser et compléter ce poème épique millénaire. A l’image du Troie de Wolfang Petersen, il y a là une authentique prise de risque.

FC : Je ne perçois aucun enjeu dramatique dans La Légende de Beowulf ! Notamment pour les raisons que j’ai évoquées plus haut (la faiblesse psychologique des personnages). Que le film ou en tout cas la façon qu’il a de détourner les codes de l’heroic fantasy puisseséduire un public d’initiés au genrec’est autre chose. Cela explique peut-être que La Légende de Beowulf ait été boudé, tant par la critique que le public. De quelle prise de risques parles-tu ?

JBD : Déjà, je te confirme que tu as un gros problème si tu ne perçois aucun enjeu dramatique dans ce film ! Il s’agit pourtant d’une histoire assez poignante sur le thème du mensonge et de la vieillesse : Beowulf, usurpateur confronté aux conséquences de sa faiblesse de caractère et de ses mensonges, arrivera-t-il a mourir en héros ? Maillon d’une chaîne aussi vieille que le pays sur lequel il règne, sera-t-il assez fort pour se construire un destin singulier ? Nous sommes sur des thématiques que je qualifierais volontiers de Shakespeariennes ! Et quand je parle de prise de risque c’est bien sûr par rapport au texte original, de la même manière que la présentation d’une guerre de Troie « athée » (les dieux n’y interviennent jamais autrement que via des allusions symboliques) et ramassée sur quatre jours avait fait hurler à la mort les historiens et les amateurs de lettres classiques lors de la sortie du film de Petersen. Ainsi, les choix des scénaristes de Zemeckis pour donner une cohérence à l’histoire de Beowulf (un chapitre entier du poème originel n’ayant jamais été retrouvé) sont particulièrement tranchés : le principe du cycle, du rapport entre la Mère des monstres et la possession du territoire est d’une grande élégance. On pourrait aussi parler du choix du vieil anglais pour les dialogues, un choix loin d’être anodin. Bref on est à des années-lumière des succès « tant critique que publique » que sont les films de Peter Jackson, par exemple.

FC : Sur l’inanité de la trilogie du Seigneur des Anneaux on est complètement d’accord. Il y a d’ailleurs mille fois plus de trouvailles de réalisation dans La Légende de Beowulf que dans les trois interminables pièces de Jackson (le vol de l’aigle, magnifique, et globalement toutes les scènes de combat). Pour autant, au même titre que pour Le Treizième Guerrier, qui présente quelques similitudes avec le film de Zemeckis, je ne peux m’empêcher de penser qu’on assiste à un beau gâchis. Aucun acteur n’y trouve un rôle à sa mesure et, clairement, tout se déroule trop vite. Le film semble manquer de temps. Cela aurait permis d’épaissir ses personnages et les péripéties auraient eu plus de sens ; alors qu’en l’état elles n’apparaissent que comme des prouesses techniques sans âme. Bref l’idée qui me reste après la vision de La Légende de Beowulf, c’est qu’il s’agit d’un film synthétique, à tout point de vue (image, durée, caractères des personnages).ub

François Corda et Jean-Baptiste Durand

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La Légende de Beowulf de Robert Zemeckis (Etats-Unis ; 1h53)

Date de sortie : 21 novembre 2007

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