DAVID FREEL AKA SWELL AKA BE MY WEAPON
FOCUS

FocusLe cerveau cramé par trop de ciel bleu, David Freel promène son vague à l’âme au gré de deux projets nés sous le soleil persistant de San Francisco : Swell (1989 – 2007), et depuis 2009, Be My Weapon. Le beau temps perpétuel file visiblement le bourdon.

A vrai dire, on imagine même assez bien les albums de Swell ou Be My Weapon en bandes sons idéales d’En crachant du haut des buildings, livre dépressif et nonchalant écrit par un auteur aussi Californien,Dan Fante. La mélancolie y coule de la même façon, sourde et morne, comme si leurs auteurs étaient victimes d’une insolation particulièrement gratinée. Se balançant sur une frontière pas très claire (de maigres accords ou arpèges de guitare sèche côtoient une section rythmique poisseuse, zébrés d’éclairs de guitare électrique), la musique de Swell semble une aspiration à s’échapper du climat étouffant d’une ville chauffée à blanc.

Un départ va provoquer un profond bouleversement de cette recette patiemment mise en œuvre sur les deux premiers albums (Swell et …Well ?) et optimisée sur le superbe 41. La peinture incandescente de Too Many Days Without Thinking (1997) fait office de rupture vis-à-vis des photos noir et blanc qui ornent les premiers disques : un sleeve en guise de cadeau d’adieu de la part du batteur emblématique (son jeu très expressif est sans hésiter l’un des moteurs du groupe) Sean Kirpatrick, peintre à ses heures. Ce dernier quitte le navire, sans doute au cours de l’enregistrement si l’on en juge par les crédits de l’album, sardoniques. Ces « jours sans penser » illustrés par des couleurs chaudes, semblent une autre manifestation du spleen provoqué par l’excès d’ensoleillement. En forme de testament d’une époque presque révolue, l’ironique et désespéré « Sunshine Everyday», qui clôt l’album, pourrait synthétiser à lui seul l’esprit du groupe.

Dès lors, Swell ne retrouvera jamais plus le son qui les a rendus si singuliers. Un mal pour un bien ? Si l’on en juge par For All The Beautiful People (1999), la réponse est définitivement oui. L’album est un sommet, marqué par l’absence des coquetteries de Kirkpatrick, et où l’on y (re)découvre Monte Vallier, le bassiste des origines, plus présent que jamais dans un rôle mélodique qui tire tous les tempos et les ambiances par le fond. La suite est plus inégale, marquée par l’étrange Everybody Wants To Know avec le seul Freel aux commandes, Monte Vallier ayant décidé, lui aussi, de tirer sa révérence. Des accents industriels s’invitent alors (la batterie et la guitare, parfois synthétiques, tranchent avec le son Swell), mais ils ne sont en vérité que les prémices de ce que deviendra plus tard la musique de Freel, avec le glacial et expérimental Greasy (sous le nom de Be My Weapon), sorti cette année.

Entretemps, Freel est passé par un retour aux sources joli mais trop long (le fils prodigue Kirpatrick revenant le temps de Whenever You’re Ready en 2003), avant d’assumer (presque) sa condition d’artiste solo. Dépouillé, centré sur la guitare sèche (Vallier et Kirpatrick étant aux abonnés absents, autant se passer de section rythmique !), le Swell « nouveau » (South of The Rain and Snow) est alors une transition officieuse vers Be My Weapon. Symboliquement, le nom du groupe y est d’ailleurs mis entre parenthèses. Le songwriting, toujours attachant, est bien au rendez-vous, mais le ton légèrement plus positif adopté sur Whenever You’re Ready (éclairé une nouvelle fois par les peintures chaleureuses de Kirpatrick) est absent. La solitude d’artiste de Freel est d’ailleurs parfaitement reflétée sur South of The Rain and Snow, comme sur March 2009, le premier album de Be My Weapon. C’est du Swell sans Vallier ni Kirpatrick, et le décharnement mélodique et rythmique y est comme un écho de la condition d’âme solitaire de Freel, pourtant toujours abonné au « endless sunshine of southern california », comme il le mentionne dans March 2009.

Mais dorénavant tout à fait à l’ombre sous l’appellation de Be My Weapon (le premier disque est sorti dans des conditions très, très confidentielles, sur un label bordelais), l’auteur compositeur est paradoxalement moins frileux, comme le prouve un Greasy usant de dissonances franchement gonflées, de sons de guitare volontairement dégueulasses et de blips électroniques déglingués. Le Californien semble avoir trouvé une seconde voie, maladive mais tout à fait réjouissante. Aurait-il quitté San Francisco ?

François Corda

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