Traqué
William Friedkin

buDuelRetour sur Traqué, qui signait il y a onze ans le retour en grâce critique du très hétéroclite William Friedkin. Alors, actionner méta ou petit film écrasé par ses références ? Jean-Baptiste et François sont partagés.

François Corda : Jean-Baptiste, nous sommes opposés sur le crépuscule de l’œuvre de Friedkin. Notamment Traqué, et son dernier Killer Joe, nous divisent assez franchement…

Jean-Baptiste Durand : Tout à fait ! De mon point de vue, Killer Joe, sans être complètement désagréable, n’a guère d’intérêt car il se révèle beaucoup trop proche d’une expérience de théâtre filmé. A l’inverse (et même si je n’irais pas jusqu’à parler de grand film) je trouve le travail de Friedkin sur Traqué, une véritable réflexion sur les codes du cinéma d’action, beaucoup plus pertinent.

FC : Les enjeux sont radicalement différents dans ces deux films, et c’est d’ailleurs ce qui fait, entre autres, la richesse de la filmographie de Friedkin je trouve. L’américain a prouvé qu’il avait du talent dans de nombreux registres (policier, épouvante, thriller…). Dans le cas de Killer Joe, même s’il s’agit, c’est vrai, d’un huis-clos, je ne pense pas que cela entrave le pouvoir du réalisateur à produire des images de cinéma. Et au-delà de ça, ce qui est jouissif dans son dernier film c’est de partager le plaisir que prend le réalisateur à détruire le modèle de la famille américaine. Son jeu de massacre est diablement subversif. Alors c’est vrai qu’on sent aussi dans Traqué une certaine volonté de Friedkin d’appuyer là où ça fait mal (Del Toro, qui se bat au nom des Etats-Unis, est présenté comme une victime). Mais de mon point de vue le film est un peu trop désincarné (Del Toro justement, est assez transparent), et du coup la sauce prend mal. Qu’entends-tu au juste par « réflexion sur les codes du cinéma d’action » ?

JBD : Deux choses me frappent quand je regarde Traqué. Sur la forme, on parle tout de même d’un film d’action hollywoodien dans lequel toutes les poursuites se font à pied et tous les combats au couteau… Si on étudie le film sous cet angle, c’est un objet unique. De plus le choix de montrer un close combat relativement réaliste rapproche Traqué d’une grande réussite du genre comme La Mémoire dans la peau sorti un an plus tôt.

FC : De ce côté (la forme) le film n’est pourtant pas cohérent. Sans cesse Traqué souligne son souci de réalisme, par les combats et les scènes de poursuite (réussies), c’est vrai. Mais à côté de ça il y a des trous dans le scénario assez béants, notamment sur la façon dont les personnages se déplacent d’un point à un autre pour tout à coup se retrouver face à face… Au bout d’un moment on n’y croit plus !

JBD : Il me semble que tu confonds deux choses différentes. Si l’action se veut réaliste dans Traqué, ce n’et pas forcement le cas de l’intrigue. Encore une fois on reste tout de même sur les codes d’un film de tatanes et de roulades en avant. On ne demande pas à John McClane d’être crédible, on lui demande d’avoir du style et de suer la testostérone. Mais même dans ce cadre, les scénaristes de Traqué osent brouiller les cartes en rendant le personnage principal, joué par Tommy Lee Jones, éminemment trouble : la scène finale interpelle parce qu’elle montre explicitement qu’il aurait probablement pu empêcher le personnage de Del Toro de sombrer dans la folie. Cette façon de casser le manichéisme habituel de ce genre de film est suffisamment rare pour être soulignée, ne penses-tu pas ?

FC : Que ce soit un fait rare est une chose, qu’il soit bien réalisé en est une autre. Des deux personnages, présentés comme des victimes (le fou, le repenti), Friedkin fait le choix, contestable, de s’attarder plutôt sur celui de Tommy Lee Jones, ex-formateur de Del Toro. Ce dernier est un exécutant, soit perturbé, mais dont on ne sait strictement rien : difficile par conséquent de vibrer pour/avec lui. Tommy Lee Jones, avant d’être une victime (de soi-même), est surtout celui qui a fait de Del Toro (et de nombreux autres) une machine à tuer. Il est compliqué, dans ces conditions, de considérer son personnage comme blessé. En dehors de ça, je trouve que la première scène, d’utilité uniquement scénaristique, assez nauséabonde : les ralentis, les petites filles qui pleurent au milieu d’un charnier en pleine guerre, c’est pour le moins surprenant au vu de la sècheresse du reste du film… Ca ne t’a pas choqué ?

JBD : Non, je t’accorde que c’est fait assez grossièrement, mais la démarche (montrer la guerre dans sa réalité, casser l’idée même d’une guerre « propre ») est louable. Et pour revenir sur les personnages principaux posés en victimes, je ne partage absolument pas ton analyse. Le « maître » (Jones) est au contraire présenté tout du long comme quelqu’un qui ne s’est jamais réellement impliqué (il n’est pas militaire de carrière, n’a jamais tué personne, etc.) et qui, au final, a même carrément tourné le dos à la civilisation. De ce point de vue il y a une certaine hypocrisie dans le personnage (puisque, comme tu le soulignes, il se refuse à faire ce pour quoi il entraîne les autres). L’opposition par rapport a son « élève » (Del Toro) qui, lui, est allé trop loin, au point de s’y perdre, est alors totale, et ce malgré tous les points communs évidents entre les deux hommes (le rapport à la nature notamment). Mais dans les deux cas il ne s’agit pas tant d’être victime que d’être dans le déni de ses responsabilités.

FC : Oui tu as raison c’est plus juste de présenter les choses comme ça. Même si, de toute évidence, Tommy Lee Jones s’est bien auto-puni (il est sa propre victime, d’une certaine manière) en s’éloignant de toute forme de vie humaine. Pour revenir à la forme du film, j’ai été surpris de voir qu’en une durée courte (à peine une heure et demie), Traqué pouvait néanmoins payer un lourd tribut à certains standards sortis de nombreuses années plus tôt. Je pense notamment au Fugitif d’Andrew Davis (la partie située en ville), à Rambo ou encore Predator (pour la partie dans la forêt)…

JBD : Que le film ne soit pas aussi efficace en terme de suspense que Predator, ou doté d’un poids émotionnel aussi fort que celui de First Blood (Rambo I) je te le concède bien volontiers. Traqué joue sur un autre plan : c’est une variation intéressante sur le thème ultra balisé du film d’action et de poursuite. Quoi qu’on en pense, il a le mérite de proposer quelque chose de relativement original en rejetant quasiment toute technologie et autres effets spéciaux.bub

François Corda et Jean-Baptiste Durand

bub

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Traqué de William Friedkin (Etats-Unis ; 1h35)

Date de sortie : 26 mars 2003

bub

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