SOAP&SKIN & LAIBACH
sugarbread & spectre

bubEnterreQuand on conçoit un disque en tant qu’ensemble cohérent, vient se poser inévitablement la question de la durée de l’objet. Là-dessus chacun trouve le format qui convient le mieux à sa musique et à ses ambitions ; certains se contenteront d’enchainer les singles tandis que d’autres pousseront l’effort jusqu’au double ou triple album conceptuel. Mais à l’heure de la chanson vendue à l’unité sur les plateformes de téléchargement légal, il est bon de rappeler qu’un album vaut définitivement mieux que la somme de ses qualités/morceaux. Pour peu qu’on aie donc encore l’intention d’écouter un disque d’une traite, d’y chercher l’âme d’une œuvre avec un début et une fin, une mauvaise gestion de la durée de celui-ci peut gâcher le plaisir. C’est le cas de l’EP Sugarbread de la chanteuse autrichienne Anja Plaschg – alias Soap & Skin – et du dernier album des slovènes de Laibach, Spectre, qui respectivement nous laisse sur notre faim ou nous gave plus que de raison.

On pourrait résumer le problème du dernier Laibach, Spectre, par l’adage « les blagues les plus courtes sont les meilleures ». Depuis le milieu des années 80, les membres de Laibach versent dans une musique indus synthétique à la fois extrêmement politisée et éminemment second degré, accompagnée d’une imagerie miltaro-faciste caricaturale. À ce titre, nombre de leurs compositions consistent en des brûlots gras et binaires, suffisamment risibles et surjoués pour être appréciables. La force du groupe repose donc sur la capacité de l’auditeur à prendre du recul sur leur musique afin de la vivre comme un véritable exutoire décomplexé. Mais cela s’avère aussi être leur grande faiblesse ; difficile de garder ce second degré aussi éveillé tout au long d’un album. Et Spectre, avec presque une heure au compteur, se paie malheureusement quelques bides au milieu de bons éclats de rire. On peut se demander si le coup de poing de Laibach n’aurait pas frappé plus efficacement nos zygomatiques sur un format plus court, car on se retrouve ça et là avec quelques morceaux de remplissage qui affectent la qualité globale du disque malgré une bonne poignée de tueries (en tête l’hymne « The Whistleblowers » et la reprise tronçonnée de « Love On The Beat »).

Sombrant dans l’excès inverse, Soap and Skin nous allume pour mieux nous laisser en plan au bout d’à peine dix minutes de plaisir. Sur son « EP » – dont la durée approche plutôt celle d’un long single – Anja Plaschg s’occupe l’espace de trois morceaux de planter un décor somptueux, lugubre à souhait… Mais à peine a-t-on l’occasion de sentir l’organe vocal puissant de la chanteuse venir insidieusement nous hanter que c’est déjà fini. Ici, contrairement à Laibach, aucune fausse note à déclarer sur les compositions, mais la frustration est bien présente ; pourquoi prendre tant de peine à camper une telle atmosphère pour s’arrêter si vite ? L’expérience était bien plus gratifiante sur son premier album Lovetune for Vacuum et son EP Narrow (27 minutes tout de même).

On se retrouve donc avec deux disques quis’avèrent assombris par la mauvaise gestion de leur durée. A se demander si Anja Plaschg et Laibach ont eu la démarche, l’ambition de penser leur musique en terme d’album ; ou s’ils se sont plutôt contentés de coucher leurs nouvelles idées sur une galette de polycarbonate de plus. Cette gestion du format est indispensable : elle est le garde-fou qui permet d’éviter une simple somme de parties ou de nuire à la vision que l’on a de ses morceaux, aussi bons soient-ils.

Martin Souarn

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Soap & Skin / sugarbread

Date de sortie : 11 mars 2013

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Laibach / spectre

Date de sortie : 3 mars 2014

 

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