DES HOMMES ET DES DIEUX
Xavier Beauvois

EnterreA ce jour plus de trois millions de spectateurs ont vu le film de Xavier Beauvois : Des hommes et des dieux. Et cela fait beaucoup de monde. Je me demande si comme moi ces trois millions d’individus ont été déçus par le film. S’ils y ont vu ce que moi j’y ai vu : un rêve contrarié de cinéma.

Dans Des hommes et des dieux il y a un homme qu’on regarde. Il s’appelle Frère Luc pour les personnages. Il s’appelle Michael Lonsdale pour le metteur en scène et ses acteurs. Pour le spectateur, c’est un mélange des deux. Et quand Frère Lonsdale apparaît, hé bien tout le monde fond. Tout le monde s’immobilise quand il bouge, s’habille, quand il parle calmement, se plaint, plaisante, s’énerve, quand son regard se déplace, quand appuyé contre une peinture murale il respire profondément. Luc Lonsdale est le rêve de cinéma que Beauvois ne semble pas pouvoir transformer au profit des autres et du film. L’oeuvre boite, déséquilibrée. On est triste de ça, d’être là à attendre qu’enfin revienne le messie à l’image. Triste de s’en rendre compte.

On peut toutefois apprendre quelque chose de ce déséquilibre. Le contraste entre les gestes de Lonsdale et les autres est frappant et très parlant. La différence entre ces deux régimes de gestes tient à une chose très simple au fond. Chez Lonsdale, le geste filmé n’est pas là pour faire passer une information plus importante que lui. Le geste est là pour lui-même, pour sa cinétique, sa chorégraphie, la trace matérielle qu’il laisse sur la pellicule. Dans le même ordre d’impression, la voix de Lonsdale et ses mots sont comme un geste également, ils tombent à point dans le temps comme une main tombe parfaitement sur l’épaule d’un nécessiteux.

Pour faire de ce film un film abouti, il faut en « lonsdaliser » l’ensemble. Etendre le rêve. Si on montre une main en train de visser le couvercle d’un pot de confiture, il faut essayer de rendre compte de ce qu’est ce geste lui-même, et non pas s’en servir pour faire comprendre à tout prix que les moines vivent de la fabrication artisanale de produits commercialisables en Algérie à la fin des années 90 alors que le pays est blablabla et blablabla… Cela relève du contexte, et le contexte dans ce genre de films, on s’en fout en fait, on n’est pas idiots.

Ou alors il faut faire du contexte le sujet du film. Beauvois ne choisit pas, et c’est ça qui pose problème. Il reste tout du long empêtré dans son contexte parce qu’il n’assume pas qu’il doit ici primer sur les personnages. Tout le monde est pris alors entre deux feux : d’un côté l’ambition d’authenticité du documentaire (des hommes), de l’autre l’effet poétique de la fiction (des dieux). Et comme dans Still Life de Jia Zhang Ke malheureusement, dans ce mélange on n’a pris que le pire de papa et de maman. Le pseudo réalisme des faits de contexte d’un côté, la personnalisation des drames de l’humanité de l’autre.

Jacques Danvin

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Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois (France ; 2h00)

Date de sortie : 8 septembre 2010

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