ELYSIUM
Neil Blomkamp

ubEnterreLe dernier film de Neill Blomkamp, sorti cet été, ne nécessitait pas forcément qu’on y revienne. Loin de l’humour et du potentiel critique de son précédent District 9, Elysium semble seulement le ratage d’un réalisateur sud-africain au service de la machine de propagande hollywoodienne. Mais le film est si éprouvant dans son déroulé, et son idéologie tellement irrespirable, qu’on pourrait tenter de démêler ce que justement on y respire.

Dans un monde anéanti par le creusement des inégalités et la confiscation des ressources terrestres par un petit groupe (vision plausible, terrifiante, et illustrée notamment par un plan de tours en ruine), Matt Damon est un remis de justice exploité par un groupe industriel. Cette criminalisation lui colle à la peau, et selon les robots policiers qui gèrent son emploi du temps, la récidive est de l’ordre de 78 %. Ou comment faire semblant de soulever une question politique avant de la cautionner (de fait, Matt Damon récidive, la récidive est essentialisée, l’usage des robots justifié). Quand Matt Damon était petit (parce qu’il s’agit finalement plus de Matt Damon que d’un personnage tellement neutre et filmé de manière si anodine qu’il en est inexistant), il ne rêvait que de quitter son bidonville et de rejoindre Elysium, espèce de réserve humaine spatiale où vit une minorité dominante qui ne supporte plus le voisinage de ses semblables. C’est le programme du film, fait de contre-plongées vers les étoiles : rejoindre un monde rêvé, où l’air n’est pas vicié, où la perfection des corps est assurée par des robots performants, plutôt que de transformer le sien. Une parabole sans pouvoir utopique, qui ne fait qu’acter le désir des émigrés, sans admettre qu’il y ait au préalable une question à se poser – et sans admettre d’ailleurs que l’on puisse se poser la question. Soit le degré zéro du politique.

Il y a malheureusement d’autres volets à cette inconsistance du discours véhiculé par Elysium. Quand Matt Damon part au boulot le matin, il se moque de ses voisins latinos : « J’ai un boulot, moi, les gars ». Pourquoi cette réplique ? Réponses tristes, mais les seules envisageables : Matt Damon, après avoir trempé dans le vice, a repris le bon chemin et il cautionne le système d’exploitation ; le travail est un système de contrôle de la population et Hollywood un vecteur de l’ordre qui aménage ce contrôle. Quand Matt Damon est finalement détruit par son boulot et qu’il se décide à agir à nouveau pour la cause rebelle représentée par de pénibles dérivés de Che Guevara, c’est parce que sa seule option, s’il ne le fait pas, est de mourir. Ou le bel exemple d’un héros qui n’agit que quand il n’a plus le choix. Tout questionnement est évité. Quand le scénario touche du doigt ce qui pourrait le sortir de sa torpeur cérébrale (la gestion du monde par des robots, le prétexte donné par la ministre de l’Intérieur d’Elysium pour tuer dans l’œuf les tentatives d’immigration – protéger les enfants), il repart sur des considérations convenues et dont on connaît par avance la chronologie. Quant au seul personnage qui aurait pu apporter de la complexité au film, le mercenaire sud-africain, barbu, cynique et à la langue accentuée, il est vite ramené à un rôle de pervers violent. Ou comment se servir de la psychologie pour brouiller le message.

Comment, à partir de là, fonder un courage ? Puisqu’il suffit de rebooter un logiciel pour modifier la donne politique (tristes plans moyens de résolution, triste conception de la citoyenneté), puisqu’il faut attendre un messie (Matt Damon a été éduqué par des bonnes sœurs et sous des éclairages qui lui donnent un halo de sainteté), et puisque ce messie est programmé par un destin pour accomplir cette tâche, comment croire à autre chose qu’à une résignation quotidienne ? En laissant hors-champ un matériau SF passionnant (que se passe-t-il dans des bidonvilles en 2154 ? Que se passe-t-il sur Elysium ?) et en se concentrant sur une histoire sans autre perspective que son aboutissement inepte (le reboot du logiciel a rendu tous les citoyens égaux – on se demande bien comment cela se concrétise), le film devient l’une des pires choses qui puisse être donnée à voir. Le problème est qu’il n’est pas isolé : comme la plupart des fictions où les rebelles sont chevelus et tatoués et où les pauvres sont des masses sans autre parole que les larmes ou les rires d’enfants, Elysium distille sa petite dose de pseudo-anarchisme pour permettre au spectateur de se convaincre de sa liberté et de l’esprit frondeur de ceux qui produisent ces films pour lui. Rasséréné, il peut retourner au travail le lundi. 

Marc Urumi

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Elysium de Neill Blomkamp (Etats-Unis ; 1h50)

Date de sortie : 14 août 2013

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